En 1983, Alice Cooper est au fond du trou. Alcoolique, désocialisé, incapable de prendre la moindre décision, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Bob Ezrin, le producteur des riches heures du sieur Furnier (Vincent Furnier est le véritable nom d’Alice Cooper), est alors chargé par Warner, à qui Alice Cooper doit un dernier disque, de le remettre en selle. Il récupère un zombie qu’il traîne en studio pour lui faire enregistrer ce qui est à ce jour un des albums les plus atypiques de sa carrière. Difficile d’attendre beaucoup de cet album dont Alice Cooper ne garde aucun souvenir de la conception (il est d’ailleurs toujours incapable d’expliquer comment s’est déroulé l’enregistrement et de donner des indications sur la signification des titres qui composent ce "Dada" !).
Pour autant, et surtout en prenant en compte ce contexte, ce quinzième album d’Alice comporte de très bons moments. Mais pour entrer dans cet album si atypique et le comprendre, il faut d’abord passer outre l’intro à rallonge, signée Bob Ezrin, qui à grands coups de clavier « cheap » présente un Alice Cooper devisant avec son psy. Le seul intérêt de ce morceau est de planter le décor général et d'annoncer la thématique de l’album. Quelle très mauvaise entrée en matière ! Le second morceau, "Enough's Enough", déluré et primesautier, n’est guère plus rassurant.
Heureusement, la suite se révèle bien plus riche et intéressante. Notamment avec le sublime et lugubre "Former Lee Warmer" qui, sous couvert de dépeindre les affres d’un enfant chargé de soutenir son frère, monstre né aux tendances cannibales, isolé par ses parents dans le grenier, se trouve être absolument charmeur. Cette dualité entre des textes d’une noirceur et d’une introspection très dures, et des musiques somme toutes assez légères et soft, est une quasi constante de "DaDa". S’éloignant un peu du style grand-guignolesque qu’il affectionne généralement, Alice Cooper se montre en effet beaucoup plus cynique et direct. A de rares exceptions près ("No Man’s Land", "I Love America"), ses textes sont froids et crus, et tournent autour de l’enfance, de l’alcool et de la détresse.
"Scarlet And Sheba", avec son intro arabisante, ses arrangements pompeux et son refrain planant, dégage une atmosphère singulière aux relents de beauté funeste. Cooper tutoie alors son meilleur niveau. Il en va de même avec la superbe ballade "Pass The Gun Around" dans laquelle il prend du recul sur son alcoolisme et compare une bouteille d’alcool à un revolver. Difficile de ne pas penser que ce titre malsain soit autobiographique. Alice Cooper s’y montre touchant et poignant. La sincérité qui transpire de ses vocaux et la qualité des parties de guitare de son vieux compagnon de route, Dick Wagner, font de ce morceau un petit chef-d’œuvre. Le titre s’achève en un final des plus surprenant et réussi, qui conclut de manière assez théâtrale l’analogie servant de structure à la chanson.
Malheureusement, aux côtés de ces excellents titres, nous devons tout de même supporter quelques morceaux bien plus dispensables à l’instar de "Dyslexia", ou bien franchement mauvais comme le funkisant "Fresh Blood", qui dégouline de synthétiseurs. Voici le genre de titres qui ne font qu’encombrer et affaiblir l’ensemble.
Ainsi, malgré des qualités artistiques indéniables, l’album n’a bénéficié d’aucune promotion et est sorti dans l’indifférence générale. A tort, il reste dans l’esprit de beaucoup comme le quatrième d’une série d’albums (après "Flush The Fashions" en 1980, "Special Forces" en 1981 et "Zipper Catches Skin" en 1982), qu’Alice Cooper bâcla sous l’emprise de l’alcool. Pour autant, on peut également y voir un album courageux, aventureux, dans lequel Vincent Furnier renoue avec le Rock de ses débuts en y ajoutant un savoir-faire expérimental de grande classe et un sens artistique indéniable.
La pochette est très clairement inspirée du tableau "Marché d’esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire" de Salvador Dali. Il est indifféremment possible d'y voir le buste de Voltaire ou bien deux individus qui, pour certains, ressembleraient à Alice Cooper, même si ce dernier point semble loin d'être évident.
Pour l’anecdote, on retrouve Richard Kolinka (Telephone) à la batterie sur trois des morceaux de "DaDa" (les autres parties de batterie étant principalement le fruit de machines). En effet, l’année précédente, le groupe français avait enregistré "Dure Limite" sous la houlette de Bob Ezrin.