Fort d’une discographie aussi riche que (faussement) désordonnée, composée à ce jour de cinq albums officiels, de splits divers avec des pointures telles que Xasthur ou Krieg, de lives et de plusieurs EP, Nachtmystium est une entité en perpétuel mouvement, libre et imprévisible. Partant d’un black métal somme toute assez classique, malsain et primitif, les Américains se sont peu à peu éloignés du dogme régissant la chapelle (son cradingue, corpse-paint…) pour façonner une œuvre franchement plus personnelle, quitte à s’aliéner une partie de son public originel mais à en séduire également un autre. Changeant de peau à chaque opus ou presque, on ne sait jamais réellement à l’avance quel visage les musiciens, guidés par le charisme de Blake Judd (chant, guitare, basse), vont nous offrir à chaque nouvelle sortie.
De fait, il aurait été trop simple que cette seconde partie du diptyque Black Meddle creuse un sillon identique à son prédécesseur qui voyait le groupe agrafer à sa plastique des atours progressifs (Pink Floyd n’était par moment pas très loin, c’est dire) pour un résultat étonnant et des plus réussis. Il n’en est donc rien ici, et ceux qui espéraient que cela soit le cas en seront pour leur frais.
Pour autant, Addicts marque-t-il un retour à une dureté agressive, comme pouvait le suggérer le récent Ep Doomsday Derelicts ? On serait tout d’abord tenté de le croire en effet car, précédé d’une courte introduction, "High On Hate" déboule à 100 à l’heure. Wrest (Leviathan) blaste comme une machine tandis que Judd dégueule son chant râpeux et tranchant sur fond d’un black métal rapide et cru.
Pourtant, très vite, le groupe perturbe cette première impression avec ce solo de guitare lumineux qui jaillit au moment du final. Dès lors l’album, selon l’habitude de ses auteurs, va promener l’auditeur à son gré sans que celui-ci ne sache vraiment où il va. Plutôt que de proposer une simple photocopie de Assassins, Nachtsmystium a choisi de poursuivre son exploration de la matrice noire sur laquelle il greffe influences et emprunts extérieurs. Produit encore une fois par le responsable en chef des ambiances, Sanford Parker (Minsk, Buried At Sea…), Addicts déroule un menu insolite où fusionnent avec une cohérence surprenante accroches mélodiques et motifs âpres et glacials. S’il a mis en jachère le virage progressif de la première partie, il en conserve certains oripeaux à travers ces nappes de claviers atmosphériques nourries au post-rock ("No Funeral").
A première vue décevants car un peu faciles, ces dix titres réclament bon nombre d’écoutes pour qui veut goûter leur substantifique moelle. Ce n'est que progressivement que ceux-ci finissent par faire leur trou et ne plus nous lâcher, creusant de profonds sillons dans la peau. Ils oscillent entre tempos groovy et imparables ("Nightfall", "Addicts", "Ruined Life Continuum") et excavations sévères et pesantes ("Then Fires", "The End Is Eternal"). Le point G est atteint avec le terminal "Every Last Drop", reptation agonisante introduite par des arpèges feutrés avant de s’abîmer dans un trou noir charbonneux.
Si Addicts, certainement inférieur à son aîné, ne fera sans doute pas l’unanimité, il n'en demeure pas moins un album intéressant qui témoigne encore une fois de la part de ses géniteurs d’un souci louable de déniaiser des terrains vierges. Un groupe décidément singulier, pour ne pas dire unique.