Après l’excellent double-album Precambrian (2007), qui faisait suite à un Fluxion (2005) tout aussi magistral, il est peu dire que le nouvel opus du collectif berlinois The Ocean était attendu avec grande impatience. C’est avec gourmandise que nous nous sommes lancés dans l’écoute de cet Heliocentric, persuadés que rien ni personne ne pourrait nous décevoir. Mais les dieux sont cruels, et se plaisent à ne jamais agir ainsi que l’enjoignent les mortels par leurs prières : Robin Staps, tête pensante d’un collectif réduit à cinq membres, n’a point daigné composer le chef-d’œuvre que beaucoup espéraient.
Rien de catastrophique pour autant, car ce qui fait la singularité du groupe depuis Fluxion reste bel et bien présent. Aux hurlements hardcore du chanteur posés sur des riffs qui ne sont pas sans rappeler Isis (The Origin Of Species) s’agrègent de mélancoliques arrangements de cordes et de cuivres, soutenus dans cet album par un piano omniprésent qui accentue encore la grâce des compositions. La grande majorité des titres est portée par cette trompeuse douceur que viennent perturber guitares rageuses tour à tour allègres et menaçantes et section rythmique d’une louable intelligence (The First Commandment Of The Luminaries, dont les trois dernières minutes oscillent entre jazz, musique de chambre et ravage métallique). La structure elle-même des morceaux rend compte d’un désir absolu d’émancipation, en ménageant de longues plages instrumentales contemplatives, aériennes (la minute centrale de Firmament, entre autres) et subtilement orchestrées, sans même parler du trop court solo de saxophone qui referme l’album.
Alors pourquoi une telle déception ? Le chant de Loïc Rossetti tout d’abord, qui supporte mal la comparaison avec celui de Mike Pilat, principal vocaliste sur Precambrian : les cris semblent moins possédés et sentent l’application, tout comme la voix claire, qui devenue prépondérante dans cet opus peine à charrier une rage que l’on perçoit pourtant au sein même des éclaircies les plus acoustiques. Des titres comme Ptolemy Was Wrong et Epiphany (ce dernier échappant au désastre grâce à un pont orchestral d’une réelle beauté) lorgnent même vers une mièvrerie accablante exempte de toute nuance, impardonnable de la part d’un groupe qui jusque-là s’était refusé à l’écœurant exercice de la ballade crypto-pop. En fait, The Ocean semble avoir perdu une part de la sincérité et de la radicalité qui l’habitaient. Rien n’est réellement mauvais (la partition de l’un des musiciens – celle de Louis Jucker bien souvent – permettant toujours de rattraper l’ensemble), mais lorsque les ficelles sont trop voyantes, les contrastes trop marqués, la légèreté portée comme un étendard plutôt que savamment masquée, le plaisir s’en trouve en partie gâché.
Néanmoins, d’excellents morceaux sont à mettre au crédit d’un groupe qui est loin d’avoir perdu sa capacité à fondre des thèmes bouleversants et des ambiances torturées dans un hardcore toujours aussi abrasif : Firmament, The First Commandment Of The Luminaries et The Origin Of Species comptent parmi les plus belles réussites du combo, tandis que le court et poignant Catharsis Of Aa Heretic séduit par l'alliance d'un chant clair parfaitement maîtrisé et de cuivres aux chaudes sonorités. Heliocentric met au final votre serviteur dans une bien inconfortable position : s’il est clair que la magie n’opère pas sur chaque titre et que certaines facilités, notamment mélodiques, n’ont pas été évitées, l’ensemble se révèle d’une puissance émotionnelle poussant à l’addiction. Une déception sans doute, mais de celles qu’il est impossible de ne pas écouter en boucle !