Rarement un virage musical aura été aussi laborieux. Après un "Scarsick" qui tournait définitivement la page progressive du groupe en expédiant la tant attendue suite de "The Perfect Element" dans un album fourre-tout et brillant, tous les horizons étaient ouverts pour le groupe suédois. Pour ceux qui n'avaient pas compris le message "Scarsick", un nouvel EP avait permis de préparer tout le monde à ce son plus cru, plus ramassé, loin des envolées mélodiques d'antan, tout en faisant patienter les fans. En effet, suite aux dommages que la crise du disque inflige à leur maison de disque, c'est avec un certain retard que sort enfin la première partie de ce "Road Salt", sous-titrée "Ivory".
Pourquoi un virage musical ? Parce que, tout simplement, Pain of Salvation ne fait plus dans le metal prog. Pour des raisons confuses, Gildenlöw n'a jamais voulu être associé à ce style et avec "Road Salt" toute ambiguïté est désormais éliminée puisque l'on y retrouve quasiment pas de soli, des claviers très limités qui n'ont jamais le rôle de lead et un son cru mais jamais metal. Le style en devient de fait indéfinissable, marqué à la foi par le blues ('Tell Me You Don't Know'), le hard rock ('Linoleum'), des touches psychédéliques ('Where it Hurts'), des touches grunges ("Curiosity" aurait pu être sur le dernier Pearl Jam, non ?) et même des bizarreries, comme 'Sleeping Under The Stars', directement tiré du "California" de Mr. Bungle.
Nous voici donc face à un joyeux fourre tout qui passe pourtant sans problème grâce à un son abrasif et monolithique. La route est aride et l'album est un chemin de croix qui s'écoute presque dans la souffrance avec un son de guitare très épais et cru, parfois à la limite du fatiguant. Des sentiments comme l'impuissance, ou la douleur de certains choix naissent naturellement et avec réalisme dans les paroles de Gildenlöw... Rarement le thème du sexe ne m'aura autant secoué dans un morceau qu'avec ce "Sisters" bouleversant. C'est aussi ça "Road Salt": une histoire qui s'écoute.
Malheureusement, si tous les éléments pour se réjouir sont là, il faut y mettre un bémol. Si l'album est agréable en tant qu'entité, peu de morceaux se démarquent. Certains titres sont très anecdotiques ('Of Dust', le poussif 'Innocence', 'She Likes To Hide', etc...) et d'autres morceaux ne sont pas non plus fabuleux. Ainsi 'Road Salt' s'avère intense mais trop mièvre, 'Darkness of Mine' est sympa mais sans rythme, 'No Way' dont le solo semble improvisé nous fait regretter les interventions phrasées dont on avait l'habitude, etc. Il est par ailleurs dommage de constater que sur des format plus ramassés, P.O.S. pêche par manque de mélodie, tout simplement (cf. le très laborieux 'No Way' où rien ne fait prendre le morceau, ni riff, ni ligne de chant...).
Tout cela donne donc un résultat mitigé. Le nouveau visage du groupe est très séduisant, et surtout très crédible tant il semble coller naturellement à ce que veulent transmettre les musiciens. Seulement, les morceaux ne sont pas tous à la hauteur, et un goût de 'trop peu' reste irrémédiablement en bouche. Reste à voir ce que donnera la suite, et à mesurer à quel point ce double album moyen aurait pu être un simple album fabuleux.