Qu'importe que le groupe semble venir de nulle part. Qu'importe que ses trois membres se planquent derrières des pseudos et des masques qui n'apportent pas grand chose du moment que le cahier des charges qui a préside à sa concrétisation, pratiquer un black métal dépressif tavelé de taches doom death, est respecté à la lettre... Ces néerlandais n'inventent peut être rien qui n'ait déjà été façonné avant eux mais il y a dans ce Lost une telle envie de se faire plaisir en jouant une musique qui vient du cœur que An Autumn For Crippled Children s'impose dès son premier jet.
Tous les ingrédients sont rassemblés pour réussir ce plat funèbre, du chant écorché et inaudible aux ambiances crapoteuses distillées par un tempo pris de catatonie. Rien de nouveau et pourtant ça marche. Dès les accords rongés par le désespoir le plus inexorable qui ouvrent "To Set Sails to the Ends of the Earth", le malaise vous engourdit. Un malaise malgré tout assez mélodique du fait de la présence de claviers qui adoucissent l'atmosphère lourde plus qu'ils ne l'épaississent. Du fait également de ces six cordes entêtantes qui, telles des vigies, percent la nuit opaque ("Tragedy Bleeds All Over the Lost", qu'illuminent aussi des lignes de chant clair minées par la tristesse).
Hormis "A Dire Faith " aux longs développements funestes, An Autumn For Crippled Children déroule un canevas simple et serré qui témoigne d'un art de la synthèse tout à fait louable. Ce faisant, il démontre que vouloir battre des records de durée n'est nullement une qualité indispensable à l'instauration d'un climat de dépression. Cinq à six minutes suffisent pour cela. Un Katatonia auquel on est parfois bien obligé de penser, l'avait déjà prouvé. A leur modeste mesure, ces trois Hollandais ont retenu la leçon.
Bref pour les masochistes du genre Lost est une offrande qui s'apprivoise facilement, et ce d'autant plus que le groupe sait injecter quelques doses plus personnelles, voire plus expérimentales, quelques idées à ce terrain bien balisé. Citons les accélérations de "Ghost Light" transpercé aussi par des breaks plus hypnotiques ou bien la marche funéraire instrumentale "An Autumn for Crippled Children ". Citons aussi les images écaillées de "Never Shall Be Again" secoué de spasmes mélancoliques et propulsé vers une course en avant par un rythme qui s'emballe pour mourir sur un orgasme de douleur.
Chaque compo est une passerelle pour enjamber le Styx et même si l'on devine ce qu'il y a au bout, on l'emprunte avec une délectation vénéneuse. Lost tient presque de l'exercice de style. Les âmes en proie à la dépression vont adorer, cela veut tout dire...