Le nom de Duncan Patterson ne dira sans doute rien à la plupart d’entre vous et notamment aux plus jeunes. Ceux qui ont découvert Anathema au début des années 90, eux par contre, savent. Oui, ils savent que l’homme n’est peut-être pas le musicien le plus technique qui soit mais qu’il possède, outre un talent de composition extraordinaire, la qualité aussi rare que précieuse de conférer une âme à tout ce qu’il touche. Anathema, dont il a écrit quelques-unes des plus belles pages et la quasi-intégralité de Alternative 4 (1998), ne s’est jamais remis de son départ survenu pourtant peu après la publication de cet album. Et Antimatter, qu’il a fondé ensuite avec le chanteur Mick Moss avant de le quitter lui aussi après trois explorations douloureusement belles, pas davantage.
Ion est désormais le jardin secret qu’il cultive, porte entre-ouverte sur son cœur et sur celui qu’il est désormais. Le doom death puis le métal atmosphérique d’Anathema sont loin maintenant, mais les liens avec Antimatter paraissent plus évidents. Seul à la barre de ce projet, Patterson se charge d’à peu près tout, de la basse à la guitare en passant par les percussions, ainsi que de la mandoline dont il est devenu un connaisseur, instrument aux sonorités doucement mélancoliques qui tisse le fil d’Ariane d’une musique épurée, diaphane.
Pour les lignes vocales, essentiellement féminines, le musicien fait appel à diverses chanteuses. On se souvient encore des interventions de la magique Marcela Bovio (Stream Of Passion, Ayreon) illuminant Madre, Protégenos, première respiration d’Ion, à laquelle succède enfin une seconde offrande après quatre années d’attente interminable.
Par rapport à sa pourtant superbe devancière, Immaculada, s’il en reprend les caractères, notamment cette aura religieuse si particulière et chaleureuse, renoue avec une forme de musicalité plus élaborée. Là où Madre, Protégenos alignait une série de pistes assez courtes, trop peut-être, ce qui a contribué à lui donner des allures d’ébauche, cette nouvelle offrande paraît plus travaillée et aboutie.
Inspiré par les récents voyages de son auteur entre l’Irlande et la Grèce, Immaculada adopte les courbes d’une montée en puissance émotionnelle où se mélangent sur la palette du musicien, caresses féminines spectrales ou murmurées, lignes de violon, notes de flûte et instruments traditionnels. Après l’introductif morceau éponyme, qui dessine les contours désenchantés de ce périple, "Temptation" et ses accents orientaux séduisent d’emblée, guidés par un rythme hypnotique. Ballade entre Méditerranée et terres celtes, "Adoration" lui succède, brise légère où l’on suit la voix fragile de la merveilleuse Lisa Cuthbert. Plus sombre, "Damhsa Na Gceithre Ghaoth" se drape lui aussi de sonorités irlandaises cependant que le très beau "Invidia" enchante par sa touchante simplicité.
Avec les trois titres qui ferment son parcours, l'album accède à une beauté contemplative à laquelle il semble bien difficile de résister. C’est tout d’abord le long et introspectif "Cetatea Cisnadioara", mélopée poétique minimaliste écrite à l’encre grise, puis, "The Silent Stars", petit bijou d’émotion, et enfin la lente pulsation au souffle spirituel "Return To Spirit", qui fait mourir peu à peu Immaculada sur une touche lancinante. Ces percussions finales résonnent comme des battements de cœur en bout de course.
Entre paysages celtiques et effluves néo-folk, Duncan Patterson signe un très grand disque, qui rejoint le Eternity d’Anathema et le Planetary Confinement d’Antimatter au panthéon de la beauté. Ceux qui se sont désintéressés de son travail depuis qu’il a quitté le giron métallique seraient bien avisés de jeter une oreille sur Ion où l’on retrouve une sensibilité et une inspiration inchangées. Il le mérite.