Tout commence par un plongeon. Puis, une fois sous l'eau, les sons synthétiques éthérés et planants commencent. Le second album solo de Richard Wright commence par une immersion dans le concept qui traversera tout le disque : la dépression.
Le dernier signe de vie enregistré depuis la planète des floyds n'est donc pas à proprement parler rigolo. Lors de la dernière tournée du groupe, en 1994, Wright s'efforça de rester en contact avec une amie proche atteinte d'une grave dépression nerveuse. Il a suivi en direct la chute et la résurrection de son amie et en a tiré le concept qui manquait à ses projets. Wright a composé la musique, les paroles sont pour la pluspart de Anthony Moore, également collaborateur des derniers floyds. Le résultat est impressionnant.
"Broken China", la porcelaine brisée, montre dès le deuxième morceau toute son ambivalence et sa richesse. "Night of a thousand furry toys" révèle un Manu Katché en pleine forme à la batterie, des solos de guitare géniaux de Tim Renwick, du violoncelle, de la basse hyper groove, et la voix profonde de Rick Wright. Ce morceau à lui seul est une délectation, sombre, noire, mais qui pulse comme un coeur vivant et respire l'invention. Très clairement divisé en quatre sous-parties (les morceaux au sein de ces quatre sections sont tous echaînés), l'album s'enfonce dans l'ambiance sombre au fil de chansons et de très nombreux instrumentaux où Wright se laisse bercer par ses envies d'effets sonores originaux et riches. Plus que jamais, Wright montre qu'il est le seul pro du synthétiseur à utiliser cet instrument avec la parcimonie et la prudence qu'il mérite. Nul ne sait manier les synthés avec autant de perfection que lui.
Puis on vient à "Blue room in Venice", tournant vers un peu plus d'optimisme de son héroïne. Cette chanson géniale est un duo entre Rick Wright et Sinead O'Connor, et leurs deux voix unies sur les couplets émouvants ont de quoi faire chavirer les plus insensibles. Ce morceau est aussi celui de l'orgue nostalgique et d'un break improbable de quelques secondes qui nous mène brièvement dans un piano bar : du génie pur. L'album se ferme enfin par "Breakthrough", chantée par Sinead seule, chargée de l'émotion délicate des sons digitaux, de la guitare sèche, de la mélodie et de la profondeur rythmique.
Cette dernière chanson était le grand espoir de Wright de voir son album embrasser le succès. Malheureusement, mal vendu, ignoré par la presse (sauf le regretté magazine "Rockstyle", qui en fit sa couverture et proposa une interview de Wright - rendons encore hommage au travail de ce défunt magazine), "Broken China" ne fut connu que des rares fans du floyd à l'avoir trouvé perdu dans le même bac que "Dark side of the moon". Il mérite beaucoup mieux que l'oubli. Wright montre avec cet album qu'il est à la fois le plus inspiré et le plus intègre des anciens Pink Floyd, mais aussi le plus original. "Broken China" n'est ni un sous "The Wall" ni un sous "Dark Side". A mi-chemin entre les ambiances à la Peter Gabriel et les recherches raffinées de Vangelis, "Broken China" est un objet unique, à la production impeccable, qui réussira à rassembler autour de lui les fans de prog' seventies comme les afficionados des sonorités du 21e siècle. A ne pas manquer.