8 mai 1970, les Beatles, un mois après leur séparation officielle, font paraître leur dernier album, Let It Be. Pour comprendre cet opus, au contenu pour le moins hétérogène et surprenant, il faut parler d’historique avant de parler musique.
Début 1968, les Fab’ Four enregistrent le "Double Blanc", et les sessions, c’est le moins que l’on puisse dire, ne se passent pas dans l’harmonie. La présence constante de Yoko Ono, et moins de connivences entre les membres ont donné un album certes honorable, mais loin de l’osmose créative qui avait présidé aux chefs-d’œuvre précédents.
Afin de resserrer les liens, Paul McCartney propose un retour aux sources : écrire un album dans l’esprit du jeu de scène, s’éloigner des bidouillages techniques qui malgré tout ont permis à leur musique d’évoluer au point de marquer leur époque, et pourquoi pas, revenir en concert (idée pour laquelle George était plus que réticent). C’est le point de départ du projet Get Back. Début 69, les quatre se réunissent dans un studio de fortune installé dans des studios de cinéma de Twickenham. Les mauvaises conditions d’enregistrement et l’ambiance délétère entre les membres (le film Let It Be est très éloquent sur ce point) donnent de piètres résultats, au point que George Harrison quitte les lieux. Les Beatles se réinstallent aux studios d’Apple Productions et enregistrent en un mois tous les titres présents sur l’album. Ils donnent également le 30 janvier le fameux Rooftop Concert sur le toit des studios Apple, concert auquel n’assisteront qu’une poignée de proches et d’employés, et qui pour la petite histoire, sera interrompu par la police sur plainte des voisins. Les titres Dig A Pony, I’ve Got A Feeling et One After 909 qui figurent sur la version finale de l’album ont été enregistrés pendant le Rooftop Concert, dans l’esprit initial du projet Get Back. Two Of Us, Dig It et Maggie May sont des captations live des sessions studio.
Le résultat obtenu est juste moyen, surtout pour un groupe qui a marqué son temps par l’excellence de la qualité de ses productions. L’impression qui ressort est celle d’un bœuf musical (en V.O. : jam session) plutôt bâclé. Résultat qui s’explique par le parti pris de rester dans une non-sophistication proche de l’esprit live, mais qui ne masque pas le laisser-aller ambiant : des titres comme Dig It ou Maggie May sont indignes de la discographie des Fab’ Four ! Devant l’indigence de certains titres (et le refus du groupe de faire paraître l’album en l’état), Alan White, le manager du groupe, décide de confier les bandes au producteur Phil Spector. Celui-ci, sans prendre l’avis du groupe, travaille sur les titres studio et va modifier les arrangements pour obtenir le résultat final que l’on connaît. Son travail sur The Long And Winding Road, notamment, va lui attirer les foudres de Paul, qui s’estime trahi par les litres de mélasse répandus sur la chanson : ralentissement du tempo, ajout de larges tartines de cordes, d’une harpe et de chœurs. Phil Spector se défendra en arguant que le titre était à peu près inaudible, John Lennon à la basse improvisant de façon très fausse. Cette brouille entre Paul et le producteur sera l’une des causes qu’il invoquera pour son départ du groupe, et la raison pour laquelle il fera paraître plus de 30 ans après une version “déspectorisée” sous le nom de Let It Be ... Naked.
Voilà ce qu’il faut savoir pour expliquer (excuser ?) le résultat global de l’album Let It Be. Musicalement, surnagent les titres les plus connus : le morceau éponyme, mais aussi Get Back, précédemment publié en single, avec en face B le Don’t Let Me Down de John curieusement exclu de la mouture finale; One After 909, un rock assez pêchu qui a été composé ... en 1957 ! I Me Mine, proprement mis en boîte en l’absence de John qui avait définitivement quitté le groupe ; et un Across The Universe, agréable mais pas très novateur, qui aurait pu avoir sa place dans Sgt Pepper. Le reste se noie dans l’approximation musicale, avec des arrangements plus que succints et des à-peu-près dans les harmonies vocales (Two Of Us) auxquels les Beatles ne nous avaient pas du tout habitués...
Même si Let It Be est le dernier paru des albums des Beatles, il ne faut surtout pas le prendre comme leur testament musical. Le vrai couronnement de leur carrière est bien l’incroyable Abbey Road, sorti plus de sept mois avant mais enregistré six mois après. Pour les puristes, la version Let It Be... Naked est, malgré les conditions sommaires d’enregistrement, un document plus intéressant.