Olivier Calmel, pianiste de formation classique, déjà auteur de trois albums de jazz en quartet et de nombreuses musiques de film, a une fois encore su parfaitement s’entourer pour ce nouvel et quatrième album, Sha-Docks. C’est désormais d’un quintet dont il s’agit, avec entre autre les fidèles Bruno Schorp à la basse et Frédéric Eymard au violon alto, ce dernier étant pour beaucoup dans la couleur imprimée à l’ensemble des dix compositions proposées ici.
Z Trail OMT ouvre le bal de fort belle façon, sur fond de mariage réussi entre électronique et acoustique. Brillent principalement en solo le saxophone ténor de Christophe Panzani et le violon alto de Frédéric Eymard, très convaincants dans leurs duos à l’unisson comme en contrechants, tandis que l’intervention de quatre invités, dont Vincent Peirani à l’accordéon et Rémi Merlet aux percussions, accentue le dynamisme d’un morceau virevoltant, léger et avant tout rythmique.
Se succèdent ensuite des titres beaucoup plus impressionnistes, à l’image d’un Pompier Pyromane que l’on imagine peu à peu gagné par l’euphorie née de l’incendie, avant que n’interviennent les secours, sirènes hurlantes interprétées au violon à la manière du Foggy Day de Charles Mingus. Bruno Schorp impose progressivement un groove implacable, tandis que Panzani s’illustre dans un jeu qui de percussif s’épanouit dans une approche beaucoup plus mélodique de l’instrument. Ce morceau est de ceux qui marquent le plus le subtil équilibre atteint dans le processus de composition entre écriture et improvisation, la sensibilité des solistes ne masquant en rien la richesse de la partition d’accompagnement.
Cette écriture se révèle, dès la première minute de Shadock Incandescent – l’un des sommets de l’album –, comme avant tout contrapunctique. L’entrée progressive du piano, de la basse, puis du violon et du saxophone sur une première exposition du thème, ne laisse aucune place aux accords, l’harmonie naissant du seul croisement de diverses lignes mélodiques. Malgré le large éventail de potentialités offert par le dispositif instrumental, Calmel a l’intelligence de ne pas surcharger l’espace sonore, s’offrant une superbe improvisation au piano. Le morceau se conclut sur un groove tyrannique entraînant à sa suite l’ensemble des instruments, qui délivrent là l’un des passages les plus intenses du disque.
Mais Sha-Docks, c’est aussi des morceaux aux frontières du néoclassique, tels le piano solo du Prologue en forme de Prélude ou encore l’émouvante langueur de La générosité n’attend pas. Ce morceau exploite à merveille la puissance organique et colorée du trio piano/violon/saxophone, avant d’éclore en une seconde partie enchanteresse, qui jouant sur une progression constante par variations de tonalité, tient l’auditeur en haleine, perpétuellement mis en danger, comme privé de filets sur une corde raide émotionnelle. Citons enfin Le temps du trajet, titre tout en contrastes, très écrit et pourtant incroyablement libre, d’une générosité toute sensuelle, jusqu’aux déchaînements fiévreux d’un solo de saxophone étourdissant.
Aucun réel bémol ne vient entacher ce disque où le mélange des influences, des couleurs et des dynamiques atteint une de ses plus belles expressions musicales. Qu’il revienne à Olivier Calmel et à ses quatre complices de réussir cet exploit avec Sha-Docks n’a finalement rien d’étonnant, au vu de l’expérience accumulée par son créateur et du niveau d’expressivité atteint par chacun des musiciens. Que ces cinq-là prennent encore et toujours plaisir à jouer ensemble, car disons-le clairement, ils nous régalent comme bien peu savent le faire !