Un an seulement après le premier volet de la saga Terra Incognita, Roswell Six revient avec un deuxième opus correspondant à la sortie du deuxième tome de la série d’heroïc fantasy initiée par l’auteur Kevin T. Anderson, The Map Of All Things. Alors que la composition de Beyond The Horizon avait été confiée par Shawn Gordon, du label Progrock Records, au claviériste Erik Norlander, c’est au multi-instrumentiste Henning Pauly que revient le soin de reproduire la magie du premier album sur un A Line In The Sand qui n’a pas le droit de décevoir. Pour ce faire, une véritable machine de guerre vocale a été déployée : pas moins de six chanteurs principaux et trois chanteurs additionnels se relaient tout au long des dix morceaux. Côté instrumentiste, Henning Pauly joue tous les rôles : exit donc le violon de David Ragsdale ou la flûte de Martin Orford, et place à un son plus brutal, plus resserré sur les guitares et sur une section rythmique implacable, même si les claviers gardent une position d’importance pour les arrangements orchestraux. Qu’on se le dise : Roswell Six est toujours progressif, mais est clairement passé du côté du métal. Pour quel résultat ?
Disons-le d’emblée : les inconditionnels d’un rock progressif symphonique racé et subtil, celui qui était pratiqué dans Beyond The Horizon, auront peut-être du mal à se reconnaître dans l’écriture de Henning Pauly. Non que ce dernier propose des compositions sans classe ni finesse, mais qu’il s’agisse des riffs, agressifs et percutants, ou des arrangements aux limites d’un pompiérisme bien américain – le Neal Morse de Sola Scriptura n’est parfois pas très loin –, son propos est globalement nettement plus lourd, plus massif que celui de Norlander. Nul jugement de valeur ici, car à condition de goûter les soli échevelés, les riffs typés Heavy-Metal, le symphonisme grandiloquent des claviers, et de se satisfaire de structures qui, menées par le chant, ne s’éloignent guère – en dehors des espaces réservés aux interventions solistes – du terrain balisé couplet/refrain, A Line In The Sand est une déclinaison plus qu’honorable du concept Terra Incognita.
Réduit à un dispositif instrumental des plus traditionnels, cet album fait la part belle aux voix. Steve Walsh est impérial dans Barricade, et peut-être plus encore dans son duo avec Charlie Dominici sur My Father’s Son. Ces deux morceaux sont parmi les plus agressifs du disque, vocalement comme instrumentalement. Orchestration ambitieuse et grandiose pour le premier qui s’impose comme un formidable titre d’ouverture, épique, rapide et sauvage, ambiance orientale pour le second, magnifié par un chant incisif, furieux quoique joueur, et par un solo de guitare lumineux.
L’une des très belles surprises de cet album est aussi Sass Jordan, chanteuse au timbre de voix rauque, granuleux et profond, ce qui ne l’empêche pas pour autant de monter dans les aigus sans rien perdre de sa trouble sensualité. A mi-chemin entre Faithfull, Joplin et Turner, sa performance sur Need et plus encore sur The Crown est tout bonnement exceptionnelle. Elle illumine ces morceaux. Le premier, une ballade sensible et agréable, le second un hard-rock symphonique endiablé, les deux étant gratifiés de soli de guitare mélodiques, techniques, bref, redoutablement efficaces. Rien à voir avec l’autre ballade de l’album, Loyalty, interprétée par un Michael Sadler qui, sans démériter, peine à transcender une chanson bien joliette mais un peu fade.
When God Smiled On Us et Victory renouent avec une esthétique plus proche du rock progressif, sans débauche guitaristique particulière, et laissent une large place à l’instauration de climats contrastés. Si Victory n’est pas une réussite magistrale, marquée par des arrangements et des lignes de chant – notamment dans les refrains – quelque peu naïfs et lourdement romantiques, When God Smiled On Us est nettement plus convaincante, avec son intermède vocal polyphonique qui évoque les riches heures de Spock’s Beard (Long Time Suffering) et démontre une fois encore le soin porté par Pauly aux partitions vocales. Ce dernier s’offre ceci dit un morceau pour lui tout seul, avec l’épique Battleground, délire instrumental aux limites de la mégalomanie mais franchement enthousiasmant pour qui aime la démesure.
En changeant de compositeur, et à bien y regarder, d’interprètes (excepté Michael Sadler, présent sur le premier opus), le projet un peu fou de Gordon et Anderson prend un second envol. A Line In The Sand, tout en confirmant l’exceptionnelle qualité de Beyond The Horizon, ne souffre que très occasionnellement de la comparaison avec son glorieux aîné et risque de faire paraître le temps bien long d’ici 2011, pour, espérons-le, un troisième album du même acabit !