Libre ! Voilà l’adjectif qui vient à l’esprit désormais pour qualifier le quatuor de Coventry. Libre d’enfanter des disques quand il se sent prêt, tous les trois, quatre ou cinq ans alors que durant ses vertes années, il inondait les oreilles de musique avec largesse. Libre de graver un double-album, exercice casse-gueule s’il en est et qui n’est plus très couru. Libre de faire ce qui lui passe par la tête, quitte à laisser sur le bord de la route certains de ses fidèles. Libre !
Après cinq ans d’absence discographique, Cathedral est donc de retour avec The Guessing Game au menu pantagruélique de près d’une heure et demie qui semble vouloir partir dans tous les sens. Semble, uniquement, car derrière ce bordel apparent, on sent un groupe qui sait au contraire très bien où il veut aller… Et où il va.
Plus nourri au seventies que jamais, tant d’un point de vue formel (orgue Hammond qui dégouline, Mellotron, cithare fantomatique, influence sabbathienne…) que thématique (les hommages aux films de série Z de Armando de Ossorio et à la grande prêtresse du giallo, Edwige Fenech avec "Edwige’s Eyes"…), le dinosaure anglais va cette fois encore plus loin dans l’expression d’une sorte de proto-doom jouissif où la lourdeur des riffs usinés par Gaz Jennings rejoint les couleurs chatoyantes de modelés quasi progressifs.
Décrire The Guessing Game relève de la gageure en cela qu’il propose un menu tellement copieux et foisonnant qu’il nécessite plusieurs allers-retours pour le goûter en intégralité. Entre doom insolite et bigarré ("Funeral Of Dreams" dont la diversité résume à lui seul l’album, le puissant "The Casket Chasers" transpercé par un solo démentiel), instrumental antédiluvien aux teintes folkloriques à la Circulus (le magnifique "The Guessing Game") ou plus pesant ("One Dismensional People"), enclumes heavy aux entournures ("Painting In Dark"), curiosité occulte presque funky ("Cats, Incense, Candles And Wine) et longues pièces (la trilogie finale "The Running Man" , "Requiem For The Voiceless" et "Journey Into Jade"), on ne sait où donner des pavillons. Les grands moments, il y en a tellement à la pelle qu’il est impossible de tous les référencer.
Vu l’expérience des Anglais, l’interprétation est comme toujours à la fois vintage et parfaite. Lee Dorrian pose ses lignes vocales inimitables pour le plus grand plaisir de tous, Gaz démontre encore une fois qu’il demeure bien le meilleur fils spirituel de Tony Iommi ("Death Of An Anarchist"), Leo Smee, responsable de la basse et des ambiances, assure le même genre de rôle que John Paul Jones dans Led Zeppelin, et Brian Dixon encadre le tout avec sa batterie carrée et impeccable.
De fait, l’inspiration hissée très haut, Cathedral accouche d’une œuvre à sa démesure qui a plus de charme que The VIIth Coming et plus de réussite que The Garden Of Unearthly Delights. Et si, après plus de vingt ans de carrière, les Anglais ne venaient pas de graver leur pierre (philosophale) angulaire ? Enfin, il va sans dire qu’il est préférable de se procurer la version double vinyle de The Guessing Game pour pouvoir admirer des heures durant le remarquable travail de l’illustrateur fidèle Dave Patchett, sans la présence duquel Cathedral ne serait pas tout à fait ce qu’il est.