Watain fait partie de ces groupes qui n'a que faire de la polémique. Et au-delà de l'apparence typique de ses membres, à base de corpse-paint, de bracelets cloutés et de croix renversées, le groupe exhibe surtout une réelle conviction, une passion sincère et exclusive pour sa musique et, à travers celle-ci, pour le message véhiculé. Comme le dit Erik Danielsson, "le titre de l'album décrit la libération du chaos potentiel survenant en tout ce qui est dépourvu de lumière. Dans l'absence de cette lumière demeure la source vitale de Watain : dans les Ténèbres sans loi".
On a certes déjà vu plus original, mais les faits sont là : Lawless Darkness exsude une noirceur incroyable, rampante, presque palpable, que le trio a l'intelligence de ne pas exprimer uniquement par le biais d'un Black Metal trop soucieux des codes – au contraire ! La démarche est globalement la même que celles entreprises par leurs voisins norvégiens (Enslaved ou encore Emperor), mais le résultat à l'écoute fait preuve d'une différence marquée. En réalité, comme ce fut le cas pour les précédents opus de Watain, l'influence première est plutôt à aller chercher du côté de Dissection, la formation mythique de Jon Nödveidt, avec laquelle Watain entretint des liens étroits. Les disciples n'ont d'ailleurs probablement jamais sonné aussi proches des maîtres mais sont parvenus à développer leur propre identité à travers cet album, à la dimension iconique.
De l'instrumental éponyme aux titres hallucinés que sont "Reaping Death" ou "Four Thrones", en passant par les hymnes que sont "Wolves Curse" et l'épique chapitre final, "Waters Of Ain" (14 minutes), l'auditeur est transporté dans un univers chaotique, brutal, débordant d'une énergie infinie. Le tout est maintenu dans un état de cohésion remarquable grâce notamment à une production à l'ampleur cataclysmique ("Total Funeral"). Le vortex obscur de la pochette et les propos de Danielsson prennent peu à peu tout leur sens : "notre but est de capturer la folie dévorante et la pureté scintillante des ténèbres, au-delà de l'illusion, ce vide capable de tout engloutir et au sein duquel, pourtant, nulle chose n'est manifeste." Appuyée par plus d'une heure de cette tempête cosmique, cette description est finalement extrêmement réaliste.
D'un point de vue strictement musical, ce chaos s'exprime par une aisance à évoluer en un instant du blast-beat sans pitié aux atmosphères fantastiques ("Death's Cold Dark", "Waters Of Ain"), des riffs heavy ("Kiss Of Death") aux clins d'œil savoureux, comme l'intro de "Malfeitor", qui reprend le riff final de l'album précédent... La polyvalence du trio est admirable, son entente infaillible.
Watain vient donc apporter sa pierre à l'édifice musical de cette année 2010 avec ce Lawless Darkness sauvagement beau, animé d'une étincelle noire propre à vous faire frémir tout en vous happant dans son étreinte. Que de chemin parcouru depuis Casus Luciferi ! Un album désenchanté mais paradoxalement bouillonnant de vie et de rage, à ranger aux côtés des grands classiques du genre.