Après un Tattooed Millionaire « pour le fun » en 1990, Bruce Dickinson lâche pour de bon la vierge de fer trois ans plus tard, dans la foulée de Fear Of The Dark. Avec ce Balls To Picasso, c’est tous les fans de Maiden qui attendent Air Raid Siren au tournant. Et Bruce va trancher fort, trop peut être ! Bonnet vissé sur la tête, un titre aux allures de graffiti du pauvre sur un mur carrelé, des morceaux inscrits au dos sur une bande de PQ qui tombe d’un dérouloir ! Je me souviens avoir eu peur en entrant chez mon disquaire. Et sur scène la surprise allait continuer : Tout en baggy et bonnet, Bruce débarque dans les petites salles d’Europe avec aux instruments une bande de gamins d’à peine 20 ans !
En studio par contre, le bougre à su bien s’entourer : il débauche la moitié du groupe Tribes Of Gypsies, dont le fameux Roy Z à l’époque totalement inconnu. Ce dernier, en plus de dégainer une guitare flamboyante mais bien loin d’un genre NWOBHM, coécrit 9 des 10 titres présents. Le résultat est loin de plaire à la presse et aux fans car Bruce s’éloigne fortement de son ancien terrain de jeu et, dans une scène Metal envahie par Metallica où l’on voit émerger des Nirvana, Pearl Jam et autres Soundgarden, il modernise son propos. Guitares plus lourdes, son puissant, basse énorme, artifices sonores et ambiances sombres et tranchantes, Dickinson trempe le bout du doigt dans le Neo-Metal naissant pour un résultat plutôt agréable.
Moins assumé et donc moins barré que le projet Fight de son copain Halford, Balls To Picasso contient son lot de bons moments. « Cyclops » par exemple, titre introductif énorme sous forme de brûlot anti Big Brother, se révèle un mid tempo habité au refrain énorme. D’ailleurs, le seul clin d’œil possible à Maiden se trouve bien ici lors du pont musical, sur cette mélodie de guitare d’une froideur hypnotique qui n’est pas sans rappeler le passage instrumental d’ « Infinite Dreams »... Frissons garantis !
« Hell No », toujours aussi sombre, est un autre pavé de Metal Moderne alléchant. « 1000 Points Of Light » et la malsaine « Laughing In The Hiding Bush » sont du même acabit « rentre dedans et grosse guitare » même si ce dernier reste meilleur. « Gods Of War » possède un côté tribal et des couplets légèrement Folk sur lesquels la voix de Bruce fait merveille. Côté douceur, on retrouve aussi avant l’imparable final, la nostalgique et poignante « Change Of Heart » qui nous fait découvrir pour la première fois un Dickinson tout en nuance. « Shoot All the Clowns » (groove, percu et chœurs à gogo) est un titre très Tribes Of Gypsies qui rappelle le côté un peu déjanté de certaines Faces B de Maiden, tandis que « Sacred Cowboys », l’autre up tempo de l’album, aux couplets parlés débités avec une certaine urgence et au refrain addictif est un autre moment attendu. Le bal se termine sur « Tears Of The Dragon », un morceau très personnel du chanteur en forme de profession de foi, une des meilleures compos de toute sa carrière solo, entre douceur acoustique, envolée Metal de toute beauté, solo d’anthologie et rupture exotique à souhait... Un fleuron du genre !
Bien plus personnel et investi que Tattooed Millionaire, bien meilleur qu’un Skunkworks exagérément décalé (et qui ne devait pas sortir sous le nom de Dickinson d’ailleurs), voici un album clef dans la carrière du grand Bruce Dickinson qui, bien qu’inégal et souvent mal accueilli, possède aisément de quoi vous offrir de nombreuses heures de plaisir.