Après "Fool's Mate", album encore sage, Peter Hammill délivre deux ans plus tard le premier disque d'une incroyable trilogie. "Chameleon In The Shadow Of The Night" sort alors que Van Der Graaf Generator, le groupe dont Peter Hammill est le leader, vient de se séparer pour la première fois de son histoire.
Cette séparation n'empêche pas les membres du groupe de rester en bons termes. Ainsi le fidèle Guy Evans est toujours derrière sa batterie, Nic Potter gratte sa basse, Hugh Banton s'agite derrière ses claviers et David Jackson vient agrémenter la musique ici et là de ses enluminures à la flûte et aux saxophones. Mais Peter Hammill assure à lui seul la totalité des parties chantées et la majorité des parties instrumentales, jouant alternativement de la guitare (acoustique et électrique) et des claviers (piano, orgue et même harmonium), et, comme à son habitude, signe tous les titres.
Et quels titres ! Loin des formats chanson stéréotypés, Peter Hammill s'affranchit des conventions musicales et laisse libre cours à son inspiration. D'emblée, le premier titre, "German Overalls", s'impose par son originalité : les quatre premières minutes sont un tête-à-tête entre la voix de Peter Hammill et sa guitare, sur laquelle il plaque de plus en plus furieusement ses accords, tandis que sa voix s'enfle progressivement, merveilleux instrument de puissance et de subtilité, capable de délivrer à la fois rage et mélancolie dans la même mesure. Quelques effets de réverb, trois notes de saxo ou de guitare électrique, puis une brusque rupture où la musique devient religieuse, Peter Hammill s'accompagnant d'un harmonium. Nouveau break pour revenir au duo guitare / voix du début, avant que la musique ne finisse sur quelques boucles sonores expérimentales.
"Slender Threads" et "Easy To Slip Away" sont deux chansons jumelles, où l'émotion passe par la magnifique interprétation de Peter Hammill s'accompagnant simplement d'une guitare acoustique. "(In The) Black Room" aurait, quant à lui, pu figurer sans que cela choque sur un album de VDGG. C'est le titre le moins intimiste, le plus énergique de l'album, comprenant une partie centrale ("The Tower") assez étrange, mélange de sons distordus, agressifs et de phrases lancées à la volée par Peter Hammill.
Enfin, "In The End" est un magnifique et bouleversant piano / voix dans lequel Peter Hammill démontre avec maestria qu'il est un extraordinaire interprète capable de transmettre ses sentiments à ses auditeurs avec une étonnante facilité.
L'écoute de "Chameleon In The Shadow Of The Night" n'est pas facile, mais aucun album de Peter Hammill ne se livre du premier coup. Ce n'est qu'au bout de cinq à six tentatives, parfois plus, que ses œuvres livrent leurs secrets, mais on est alors largement récompensé de sa ténacité.