Il aura fallu 2 ans au groupe pour donner une suite à son premier opus et entre temps, le personnel a quelque peu évolué. Ray Feinstein a laissé la place à Steve Edwards à la guitare (sans que l'on perçoive de grand changement de son et de style) et Ronnie Dio (ainsi qu'il est crédité sur la pochette) a donné son rôle de bassiste à Craig Gruber, ce qui lui laisse plus de liberté en tant que chanteur.
La musique est toujours ancrée dans une sorte de boogie rock avec beaucoup de piano (Mickey Lee Soule co-signe cette fois-ci l'intégralité des titres avec Dio) mais comporte quelques surprises. La même année Roger Glover a produit son fameux "Butterfly Ball" avec la contribution de Ronnie sur 3 titres (sans parler de celle de quelques autres célébrités montantes d'Angleterre, comme Eddie Hardin et David Coverdale, chanteur de Deep Purple depuis 1 an) et il semble qu'il en reste un petit quelque chose sur "Carolina County Ball".
Déjà, le morceau-titre en ouverture fait entendre une section de cuivres avec clarinette et tuba, avec un côté dixie jazz à l'ancienne ! Les textes, en forme d'hommage aux groupes de bal du temps passé, sont illustrés par une musique à la fois rock et festive, menée par un piano martelé sur un rythme qui balance irrésistiblement, avec une grosse accélération vers la fin. Elf aime bien ce genre de changement de rythme et l'applique ici sur plusieurs titres. "LA 59" qui suit est un vrai classique du blues-boogie avec refrain imparable et "Ain't It All Amusing" accélère encore le pas, avec un Dio très bavard et remonté à bloc sur ce morceau rapide avec un jeu de batterie et de percussion très fouillé.
Le son a lui aussi quelque peu évolué. Le groupe a enregistré au studio The Manor, en Angleterre, sous la direction de Roger Glover qui les produit de nouveau. Chaque instrument se détache bien mais Dio et le batteur Gary Driscoll tirent leur épingle du jeu. Ce dernier dont le son feutré contraste avec le jeu déchaîné et nettement plus riche que la moyenne, propulse littéralement la musique vers des horizons nouveaux. Quant au chanteur, son style s'affine et il révèle de plus en plus ses capacités étonnantes et la richesse de son timbre.
C'est peut-être sur "Happy" que le changement est le plus surprenant… Départ lent à la basse, avec le thème principal chanté sur un ton très doux et vaporeux, plein de réverbe, arrivée du piano (toujours un piano droit type bastringue) et ambiance un rien jazz mélancolique. Le thème est en fait la base du morceau, un thème qui deviendra répétitif et lancinant sur la fin, avec l'introduction d'un chœur éthéré façon Uriah Heep, des violons et une guitare soliste digne de Pink Floyd, ce qui donne une dimension psychédélique, presque mystique sur ce qui semblait être une simple ballade au départ.
"Annie New Orleans" repart ensuite (en début de face B) sur un blues boogie moyennement rapide, très classique mais diablement efficace. Elf nous refait le coup de la chanson à deux temps sur "Rocking Chair Rock'n'Roll Blues", un titre trompeur, vu le départ très calme et même romantique, que Dio chante partiellement en voix de fausset sur fond de piano ! Pourtant, au bout de 1'40, batterie et guitare arrivent et donnent un ton plus rock, toujours sur un rythme lent, mais finissent par mettre le feu aux poudres une minute plus tard, lorsque le titre repart à fond de train sur un rythme boogie, pour finir avec une conclusion lente avec encore un mini-solo de batterie ! Alors que "Rainbow" est une véritable ballade mélancolique aux consonances vaguement country sur le refrain, "Do The Same Thing" est plus basique et endiablé, rapide et enfin, le bref et très simple "Blanche" conclut l'album en douceur, sorte de rengaine digne d'une comptine enfantine sur un rythme de marche menée par le piano bastringue, une guitare slide discrète et quelques chœurs sur la fin.
Voici un album plus varié que "Elf" et parfois assez baroque, toujours très inspiré sur le plan mélodique et qui semble un peu hors du temps. "Carolina County Ball" et le troisième et dernier album de Elf, "Trying To Burn The Sun", ont été réédités en 1991 sur un unique CD édité par Connoisseur (sous licence de Purple Records) sous le nom de "Ronnie James Dio : The Elf Albums", CD qui est toujours disponible à l'heure où ces lignes sont écrites.