A une époque où les géants du rock progressif commencent à s'essouffler et où certains n'hésitent pas à taxer ce style de musique d'intellectualisme réservé à une élite bourgeoise, Peter Hammill, qui est en train de faire renaître de ses cendres Van Der Graaf Generator dont les inspirations progressives ne peuvent être niées, endosse simultanément le costume de Rikki Nadir, adolescent de seize ans qui exprime sa révolte contre la société au travers d'un rock âpre et cru. Beau phénomène de schizophrénie.
Le cinquième opus de Peter Hammill rompt résolument avec le style de ses productions précédentes en adoptant un son plus direct et des mélodies moins alambiquées. Avec "Nadir's Big Chance", Peter Hammill réalise un album punk avant l'heure, que John Lindon, alias Johnny Rotten, le leader des Sex Pistols, citera comme l'un de ses albums favoris et dont il reprendra deux titres. Le même Johnny Rotten qui, simultanément, arbore un tee-shirt où il est écrit "I hate Pink Floyd", Pink Floyd dont la musique n'est pas si éloignée de celle de VDGG. Paradoxe.
C'est dire la distance qui existe entre "In Camera", le précédent disque paru un an plus tôt, et "Nadir's Big Chance". Ce dernier est constitué de titres sensiblement plus courts que sur les précédents albums, avec un format assez conventionnel (couplets/refrain) rarissime chez Peter Hammill. De ce fait, ce disque est peut-être celui qui est le plus facilement accessible à un public non initié, mais est peu représentatif de l'œuvre de Peter Hammill et reste une exception dans toute sa production.
Globalement, les chansons peuvent être regroupées en deux catégories : d'une part, les titres constitués d'un rock basique où chant / guitares / batterie se déversent en un son bien lourd, bien épais, chargé de révolte, d'autre part, les balades douces et mélancoliques où l'opposition du chant plus aérien de Peter Hammill et des saxos déchirants de David Jackson fait merveille. "Nadir's Big Chance", "Open Your Eyes", Nobody's Business", "People You Were Going To" (l'un des premiers titres de VDGG, créé en 1968), "Birthday Special" et "Two Or Three Spectres" appartiennent à la première catégorie, "Been Alone So Long" (le final au saxo est beau à pleurer), "Pompeii", "Shingle Song" et "Airport" à la seconde.
Seul "The Institute Of Mental Health", titre complètement déjanté, où des pizzicatos à la guitare et un sax discordant surajoutent à la folie du chant théâtral de Peter Hammill n'appartient à aucune des deux.Sur la dernière partie, Hammill répète d'une voix monocorde un "burning" ad libidum avant qu'un arrêt abrupt ne vienne mettre fin au morceau. Un grand moment !
Avec "Nadir's Big Chance", Peter Hammill prend une première fois son public à contrepied. Ce ne sera pas la dernière, le personnage aimant régulièrement sortir des sentiers balisés. Même si vous n'aimez pas Peter Hammill, ce disque peut vous séduire. Si au contraire, vous faîtes partie de ceux qui aiment ses productions habituelles, autant vous préparer à une grosse surprise.