Après la franche déception de "Hot Space", les musiciens de Queen ne décident pas pour autant de revenir aux sources… même si certains morceaux de "The Works" y font penser. A ce moment-là, chacun des quatre membres du groupe essaie d'imposer ses goûts aux autres et les goûts en question sont assez différents sauf peut-être pour Mercury et Deacon, tous deux assez attirés par le funk. Sur 9 morceaux, on peut dire qu'il n'y en a pas deux vraiment dans le même style !
Pourtant, Freddie Mercury sera assez conservateur sur cet album, composant notamment un de ses plus magnifiques morceaux, "It's A Hard Life", une ballade au piano aux relents classiques avec ses chœurs typiques et le retour des orchestrations de guitares pour la partie centrale ! Néanmoins, sa voix est encore parfois un peu forcée, criarde par moments. Freddie compose aussi un autre rock'n'roll typé années 60, le sympathique "Man On The Prowl", qui manque un peu de guitare néanmoins, où c'est le piano qui domine, alors que la batterie apparaît trop forte. Et puis il y a le méconnu "Keep Passing The Open Windows", une chanson écrite pour le film "Hotel New Hampshire", assez typique du style romantique de Mercury au départ, mais qui part ensuite sur un tempo rapide où la basse est assez funky. Un titre qui mêle piano et synthés cristallins, chœurs lyriques et un beau solo de guitare électrique harmonisé. C'est là qu'on sent tout le travail collectif d'arrangement et l'influence de chacun sur le résultat final : un morceau hybride qui n'a aucun équivalent.
C'est Roger Taylor qui crée la plus grande surprise avec ce qui deviendra rapidement son premier véritable tube, le célébrissime "Radio Gaga", décrié par certains, adulé par d'autres… Mis à part ses synthétiseurs omniprésents, sa batterie synthétique enrichie de boucles électroniques et ses chœurs au vocodeur, rappelons qu'il s'agit d'un morceau critiquant le côté mercantile des radios actuelles ! Le couplet est magnifique et semble tout droit sorti de la plume de Mercury, assez curieusement. Par contre, le refrain gnangnan avec ses claquements de mains est plus discutable. Cela restera un morceau assez atypique pour Taylor, dont les goûts musicaux très larges se sont librement exprimés dans sa carrière solo méconnue. Notons que c'est à cette époque que Mercury collabore avec Giorgio Moroder sur la B.O remise au goût du jour du film "Metropolis". On dit que Freddie lui fera d'ailleurs cadeau de ses droits d'auteur en ne cosignant pas la chanson "Love Kills" qui porte pourtant sa patte. En retour, Queen utilise largement l'imagerie de "Metropolis" pour des clips vidéos, à commencer par celui de "Radio Gaga" qui sort au moins 6 semaines avant l'album. Et on retrouve les engrenages géants du film de Fritz Lang sur le décor scénique employé sur la tournée de l'époque.
John Deacon n'offre qu'un morceau, mais qui fera un tabac… Toujours cette attirance pour le ridicule… l'inoubliable "I Want To Break Free", un morceau dansant au rythme chaloupé et plutôt humoristique, à prendre au second degré. Heureusement que Brian May y rajoute sa patte et ses sons harmonisés. Mais le solo, dont il se chargera à la guitare en live, est ici joué avec un synthé au son de trompette électronique assez risible. May, quant à lui, décide à cette époque de tirer un peu le groupe vers un hard rock assez heavy et plutôt basique, notamment avec "Tear It Up", lent et haché mais dont le riff épais se retient facilement, malgré une ligne vocale assez quelconque. On regrette quand même la fusion entre hard rock et opéra que le groupe avait inventée… May fait mieux avec "Hammer To Fall", enrichi de chœurs somptueux et plus mélodiques, comportant un pont central superbe où Mercury repousse ses limites vocales, sans parler d'un solo de guitare mémorable. Ce titre – comme 3 autres ! – fera l'objet d'une sortie en single. May cosigne aussi un titre avec Taylor, la première fois depuis très longtemps ("Loser In The End" sur "Queen II"): "Machines" mêle guitares lourdes, batterie et rythmiques électroniques (quelques vocaux de Taylor passés au vocoder) avec la voix tonitruante et parfois démultipliée de Freddie, tandis que le refrain est un peu plus rapide mais accrocheur.
A la même époque, May et Taylor récidiveront ensemble pour une superbe ballade, "Thank God It's Christmas", qui malheureusement n'a jamais été rajoutée sur le remaster de "The Works", mais se trouve uniquement sur le single "Winter's Tale"… May a aussi composé un autre hard-rock assez furieux, "I Go Crazy", uniquement disponible en face B du maxi-single de "Radio Gaga" et sur le remaster américain sorti par Hollywood Records en 1991. Encore une fois, EMI manque le coche avec son remaster de 94 sans le moindre titre bonus ! Enfin, May et Mercury signent ensemble, une fois n'est pas coutume, la courte ballade "Is This The World We Created ?", arrangée pour guitare acoustique et voix. Une brève mais émouvante conclusion où, pour une fois, Freddie Mercury délaisse son masque de fantaisiste pour interpréter de façon touchante un texte triste et désabusé.
Un album très varié par conséquent, qui aurait pu bénéficier d'un 10ème morceau fort, peut-être assez grandiloquent, afin de laisser une impression plus marquante. Sans aucun doute supérieur à "Hot Space", "The Works", malgré son retour occasionnel au style baroque et romantique qui avait fait la gloire du groupe, souffre d'un certain manque de cohérence et de quelques faiblesses.