Sixième album studio de Rainbow, Straight Between the Eyes creuse un sillon identique à son prédécesseur, Difficult To Cure, qui a conforté l'année d'avant son incontestable leader, Ritchie Blackmore, dans la voie plus FM empruntée par Down To Earth en 1979. Joe Lynn Turner a réussi sa période d'essai et seuls les claviers de Don Airey ont été remplacés par ceux du tout aussi talentueux David Rosenthal.
Sans doute moins réputé que son glorieux aîné d'un an, Straight Between the Eyes a ses défenseurs qui le tiennent pour un des meilleurs disques du groupe toutes périodes confondues. Doté d'une production chaude et d'un menu qu'aucune baisse de régime ne vient grever, il a plutôt bien résisté aux affres du temps, mieux même que Difficult To Cure. Il reste une merveille d'équilibre entre titres accrocheurs et compositions plus épiques, entre puissance et émotion. En cela, il porte incontestablement la signature de son ombrageux guitariste dont on reconnaît bien la façon qu'il a d'agencer son travail.
Fidèle à une méthode qui a fait ses preuves avec Deep Purple, Rainbow pose en guise d'ouverture une chanson qui fonce sur les chapeaux de roues, un hymne immédiat. C'est "Death Alley Driver", sorte de petit frère de "Spotlight Kid", dont le clip a lui, par contre, beaucoup moins bien vieilli. Autres pièces rapides, "Bring On the Night", pourvu d'une attaque très blackmorienne en guise d'entame et "Power" qui cuisine une même recette avec une réussite presque égale. Citons enfin le méconnu "Rock Fever", aux claviers teintés de couleurs un peu spatiales.
Fort d'une palette diversifiée, Straight Between the Eyes séduit aussi pour ses morceaux plus lents, plus atmosphériques, dont le plus célèbre demeure "Stone Cold", petit bijou d'écriture et d'ambiance, qu'illumine Ritchie de son jeu toute en finesse et en discrétion. Plus anecdotique, "Time Squeeze" est sympathique, tout comme "Miss Mistreated", clin d'oeil évident à l'un des chef-d'oeuvre du guitariste. On leur préfère toutefois l'émouvante ballade, "Tearin' Out of My heart", dans laquelle Turner fait montre d'une belle sobriété et d'une justesse touchante et surtout le grandiose et terminal "Eyes of Fire" avec ses six longues minutes durant lesquelles le groupe ravive la dimension épique de "Eyes of the World" et celle, orientalisante, de "Gates of Babylon". Ses ultimes mesures, qui meurent tout doucement sur un tapi arabisant, permettent à Blackmore de répandre un solo dont lui seul a le secret, manière d'achever l'écoute sur un feu d'artifice flamboyant.
Outre la présence sombre de l'homme en noir qui sait toujours mettre son jeu au service d'un tout, Straight Between the Eyes doit une part de sa réussite à Joe Lynn Turner. Obscur chanteur au moment de son embauche, il parait cette fois-ci bien plus impliqué dans la construction de l'édifice arc-en-ciel. Plus à l'aise également, imprimant son empreinte comme Dio avait pu le faire en son temps mais d'une manière différente, bien entendu. Le disque suivant, le dernier du reste, Bent Out of Shape, verra même Roger Glover, pourtant compère de composition essentiel de Blackmore depuis 1979, s'effacer au profit du vocaliste qui signera avec Ritchie, la quasi totalité des morceaux. Et si Straight Between the Eyes n'incarnait pas finalement l'apogée artistique du Rainbow des années 80 ?