Nous vous parlions de Dennis Rea il y a quelques mois lors de la sortie du nouvel album de son groupe Iron Kim Style et voilà qu’il revient en solo avec un projet qui l’a tenu en haleine plus de trois ans. Views From Chicheng Precipice est une adaptation peu commune de la musique traditionnelle de l’Asie de l’Est couplée à sa vision très personnelle du jazz expérimental. L’artiste s’est pour l’occasion entouré de ses compagnons de Moraine à la batterie, contrebasse et guitare/violon ainsi que d’une poignée de musiciens ancrés dans la tradition asiatique comme, et entre autres, Elizabeth et John Falconer jouant respectivement du Koto (instrument à cordes pincées semblable à la harpe) et du Shakuhachi (flûte à embouchure libre en bambou). Si l'on ajoute à cela des joueurs de conques, baliset, clarinette et autres percussions, nous obtenons un ensemble et une culture à même de passer au-delà d’une simple fusion Est/Ouest.
Cette musique, chaleureuse et respectueuse, constitue un univers idéal aux expérimentations abstraites de Dennis Rea. Sa guitare, imitant les modes de l’Est, ses timbres et ses inflexions, nous emmène à travers les rizières, des hauteurs tibétaines jusqu’aux plaines de Corée et du Vietnam. Bien qu’un peu sceptique durant les premières minutes, nous nous laissons ensuite entraîner par ce travail tellement riche, que même de multiples écoutes ne parviennent pas à émousser l’excitation et la découverte perpétuelle de nouvelles émotions. Exagéré ? A peine !
Le premier titre, composé exclusivement par Dennis Rea voit s’affronter les deux univers. Nous proposant d’entrée une vision d’Asie entre violons et instruments indigènes, l’ambiance bascule dans le jazz à l’arrivée de la batterie. Des accords de piano et de guitare électrique nous plongent alors dans les affres expérimentales chères à Rea. Après la légèreté asiatique et la profondeur obscure du jazz, la troisième vision du précipice se veut la plus osée : la symbiose. Ce premier titre est très dynamique et captivant. La suite voit alors les deux hémisphères s’imbriquer pour former une musique hybride très fluide, issue de compositions traditionnelles arrangées par la main du maître. D’un "Tangabata" très solennel mais dégageant une émotion pure et forte, notamment par la présence d’un trombone et de percussions résonnantes, au très sobre "Bagua", tout y est magnifiquement interprété.
"Days By The Sea", plus court, est également plus accessible. "Aviariations On A Hundered Birds Serenade" est basé sur une grande richesse sonore contenant de nombreux chants d’oiseaux, certains originaux, d’autres imités par les instruments. Dégageant une forte impression d’improvisation libre, il entraîne l’auditeur au cœur d’une vaste et dense forêt insolite du fin fond de la Chine. Le voyage se termine par un titre dans lequel les silences font pleinement partie de l’ensemble musical, où chaque note ou groupe de notes éveille une émotion, peint un paysage, pour former un environnement sauvage, presque palpable.
Views From Chicheng Precipice symbolise finalement la fusion parfaite entre tradition et modernité sous forme d’un superbe hommage d’un grand musicien à une culture qui l’a tant fascinée. Unique et terriblement enthousiasment !