"Sitting Targets" est le 10ème album solo de Peter Hammill. A l'entrée des années 80, qui n'ont pas laissé à la postérité que des chefs d'œuvre (c'est un euphémisme !), toutes catégories musicales confondues, Peter Hammill semble avoir voulu donner à cet opus une tournure plus dans l'air du temps (tout est relatif) que pour ses précédentes productions résolument sans concession. Sur le plan commercial, il semble que bien lui en ait pris car "Sitting Targets" est certainement à ce jour le disque le plus largement reconnu du public. Mais qu'en est-il musicalement ? Peter Hammill aurait-il vendu son âme au diable en échange d'une promesse de reconnaissance médiatique ?
Il est vrai que Peter Hammill aurait de bonnes raisons de nourrir quelques amertumes. Unanimement salué par la critique comme un artiste authentique, reconnu comme l'une des plus belles voix du rock, admiré par des artistes tels que Robert Fripp (King Crimson), Peter Gabriel (Genesis), Fish (Marillion) ou encore David Bowie, Hammill ne rencontre pas auprès du grand public le succès qu'il mérite, victime d'une totale indifférence des médias et d'une politique de distribution laxiste. Bien sûr, ses admirateurs lui vouent un culte fervent qui lui permet de se produire dans le monde entier, et ses concerts affichent complet sans qu'il soit besoin de faire une quelconque publicité. Mais, en dehors de ce cercle de fans, peu sont ceux qui connaissent le nom de Peter Hammill. Il est donc compréhensible que celui-ci cherche à sortir de cet ostracisme en proposant des titres plus facilement accessibles que par le passé.
"Sitting Targets" se présente certainement comme l'album le plus rock et le plus direct depuis "Nadir's Big Chance". Cependant, contrairement à ce dernier, le ton général est moins révolté, moins contestataire. Les titres représentent un ensemble cohérent de chansons relativement courtes (pas un titre excédant les 6 minutes), la plupart suivant une structure couplet/refrain assez classique.
Si l'on suit le plan de l'album vinyle (le CD a malheureusement tué les intentions stylistiques que certains artistes donnaient à leurs albums par un simple changement de face), la première "face" contient des titres qui présentent encore quelques expérimentations, légèrement décalées, alors que la seconde "face" est plus rock et plus simple d'abord. "Breakthrough" est par exemple une entrée en matière surprenante, qui n'annonce pas la couleur de ce qui va suivre, avec ce chant intrigant, cette voix insinuante, cette basse à contretemps. Le titre est varié et intelligent, doté d'un refrain puissant et prenant. On danserait presque sur "My Experience", nerveux et enlevé, qui préfigure les titres de la seconde face. Mais "Ophelia", "Empress's Clothes", "Glue" et "Hesitation", s'ils s'appuient beaucoup sur la batterie, la basse et la guitare électrique, sont des titres au rythme mid-tempo, aux sonorités étranges, aux mélodies floues, la palme revenant à "Glue", aux bulles et rebonds de basse et batterie, glissendi de guitares sur lesquels Peter Hammill dépose languissamment quelques mots.
Changement de rythme avec la seconde face où seul "Stranger Still" déroule une mélodie calme au piano, sur laquelle PH chante au mieux de sa forme. Les autres titres sont tous des chansons rocks enlevées où guitares et batterie prédominent, avec un chant dynamique et sans trop d'effets. Le titre éponyme est particulièrement entraînant avec une fois de plus un chant de très haut niveau.
Du côté des musiciens, Peter Hammill s'appuie sur ses deux compères de Van Der Graaf Generator, Guy Evans à la batterie, très en avant sur tout l'album, et David Jackson aux saxos et flûte, beaucoup moins sollicité que d'habitude. Phil Harrison aux synthétiseurs et Morris Pert aux percussions interviennent sur quelques titres. Peter Hammill assure, comme il en a pris l'habitude depuis "The Future Now", presque tous les instruments, guitares, claviers, basse et chant.
Au final, un très bon disque, même s'il peut surprendre tous ceux qui ont apprécié le parcours de Peter Hammill jusqu'à présent. Plus direct, plus rythmé, plus "dansant", il réserve encore quelques surprises dont le personnage a le secret.