Un an après "Sitting Targets", un disque marquant un infléchissement sensible du style de Peter Hammill vers des compositions raccourcies, plus rock et immédiates, celui-ci récidive avec "Enter K", suite somme toute logique et sans surprise de l'album précité. Mais, si le contenu musical s'inscrit dans une certaine continuité, l'évolution la plus flagrante se situe au niveau du line-up du groupe. Car, si "Enter K" est un album solo de Peter Hammill, il n'en demeure pas moins que le personnel est présenté comme celui d'un groupe à part entière, le K Group, dont les membres ne nous sont pas inconnus : outre Peter Hammill au chant, guitares et claviers, nous retrouvons John Ellis en lead guitariste, Nic Potter à la basse, Guy Evans à la batterie, et même David Jackson au sax sur deux titres.
Le K Group est né lors de la tournée effectuée pour la promotion des deux précédents albums de Peter Hammill, "A Black Box" et "Sitting Targets". Chaque musicien s'est affublé d'un pseudonyme, un jeu auquel PH s'était déjà livré en endossant quelques années plus tôt l'identité du jeune punk Rikki Nadir. Cette fois, Hammill est tout simplement K, John Ellis Fury, Nic Potter, Mozart (rien que ça !) et Guy Evans, Brain. C'est Graham Smith, ancien violoniste de Van Der Graaf (sans le Generator) qui a baptisé Peter Hammill, K, K représentant l'inconnu d'aventures improbables promises au fond du regard de PH. Tout un programme !
Nic Potter, Guy Evans et David Jackson sont tous trois des ex-membres du défunt Van Der Graaf Generator, dont Peter Hammill était le leader. John Ellis, lui, est l'ancien leader du group punk The Vibrators. La présence de ce dernier au côté d'anciens membres d'un groupe de rock progressif peut sembler surprenante, quand on sait la haine que les punks vouaient à ce genre de musique. Cependant, VDGG a toujours été un chantre très particulier du rock, à tel point que Peter Hammill a toujours récusé le terme "progressif" pour sa musique. Par ailleurs, "Nadir's Big Chance" est une œuvre pré-punk dont certains titres furent repris par le leader des Sex Pistols. Mais pourquoi s'appeler le K Group, et pas VDGG, quand les 4/5 du personnel sont d'anciens membres de VDGG ? Tout simplement parce que la musique d'"Enter K" n'a que peu de points communs avec la perle du progressif noir.
L'écoute d'"Enter K" laisse une étrange impression, celle d'être à mi-chemin entre un album solo et l'album d'un groupe. Cette sensation trouve probablement une explication dans la façon dont l'enregistrement des titres s'est déroulé. En effet, "The Unconscious Life", "Don't Tell Me" et "She Wraps It Up" ont été enregistrés par le seul Peter Hammill dans son studio de Sofa Sound avant d'être retravaillés avec le reste du groupe, alors que les autres titres ont été directement enregistrés par l'ensemble du K Group. "Paradox Drive", "Accidents", "The Great Experiment" et "Happy Hour" présentent des caractéristiques très homogènes… malheureusement. Ce sont des rocks assez basiques, au rythme mid-tempo, laissant une large place aux guitares et à la batterie. Peter Hammill y chante d'une voix grave, presque grasseyante, très appuyée, sans ornement, ce qui ne lui réussit pas très bien. "Happy Hour" est le morceau qui tire le mieux son épingle du jeu, le côté répétitif finissant par rendre le titre sympathique.
A contrario de ces quatre titres, "The Unconscious Life" et "Don't Tell Me" s'appuient sur une mélodie au piano électrique et le chant, s'il reste dans les graves, est beaucoup plus posé, et même très sobre. Le sax de David Jackson vient pleurer quelques notes, renforçant l'aspect très sombre de ces titres. Enfin, "She Wraps It Up" est certainement le meilleur titre de l'album, Peter Hammill y faisant preuve de ses belles qualités vocales sur un tempo soutenu et entraînant.
"Enter K" joue clairement dans la catégorie de "Nadir's Big Chance" et "Sitting Targets". Bien sûr, il ne s'agit pas d'un album rock lambda, PH ayant une personnalité musicale très caractéristique qui empêche ses albums de s'inscrire dans les standards, quels que soient ses efforts pour entrer dans le moule. Si "Enter K" n'est pas le meilleur disque de Peter Hammill, certains titres méritent néanmoins qu'on lui accorde une oreille attentive.