Avec ce deuxième opus, Pink Floyd abandonne ses errances psychédéliques et légèrement déjantées de "The Piper At The Gates Of Dawn" pour imposer le style qui sera le sien jusqu'à "The Dark Side Of The Moon" et qui constitue probablement la période la plus créative et la plus intéressante de ce groupe mythique.
Exit Syd Barrett, bonjour David Gilmour. Le chant caractéristique et appuyé du premier laisse place à des parties vocales plus neutres, presque estompées, à tel point que les voix de Gilmour, Waters et Wright finissent par se ressembler et fusionner. Syd Barrett qui avait largement apposé son empreinte sur "The Piper", en composant la majorité des titres, commence à présenter les signes d’instabilité qui vont inciter le groupe à le remplacer par David Gilmour. Sa quasi-absence dans la composition des titres de "A Saucerful Of Secrets" (un seul à son actif) explique très probablement le changement radical d’horizon sonore de cet album. Horizons plutôt, car les paysages musicaux qui nous sont proposés sont loin d’être homogènes.
Les trois premiers titres font partie d’une même famille. "Let There Be More Light", "Remember A Day" et "Set The Control For The Heart Of The Sun" déroulent des mélodies lancinantes où les sons des instruments glissent et s'étirent, créant une atmosphère éthérée et cosmique… planante. La batterie de Nick Mason est omniprésente, mais avec la discrétion qui caractérise ce batteur. On est un peu en apesanteur. L'atmosphère change avec "Corporal Clegg", où voix et instruments sont déformés à plaisir, l'instrument soliste étant … un kazoo criard. Le morceau finit en cacophonie sur un ton faussement enjoué.
Nouveau changement d’atmosphère avec "A Saucerful Of Secrets", morceau expérimental, découpé en trois parties : la première où les instruments font penser aux rires et cris de lutins malicieux, ou malveillants, la deuxième qui enroule ses boucles de guitare sur une rythmique soutenue, parfois ponctuée d'accords de guitare et de piano semblant plaqués au hasard. Le tout se termine par un air majestueux et mélodieux. On peut retrouver ce titre sur la version live de "Ummagumma" où le fredonnement des voix, plus accentué, renforce l'impression de grandeur qui se dégage du final.
"See-Saw" est une chanson mélancolique ornementée d'orchestrations baroques, de chœurs volontairement exagérés et d'une touche de xylophone. Atypique et très beau. Enfin, "Jugband Blues" est la seule survivance de l'époque Barrett. Ce morceau bénéficie de l'ambiance typique qui caractérise "The Piper At The Gates Of Dawn", avec ce chant désabusé sur des airs faussement gais, des airs de fêtes qui tourneraient au cauchemar, laissant un vague sentiment de désespoir et d'inachevé. Le texte semble indiquer que Syd Barrett porte un regard très lucide sur son état et ses relations avec le groupe. Difficile d’écouter ce titre sans frissonner.
Au final, "A Saucerful Of Secrets" n’est donc pas vraiment ce qu’on pourrait appeler un album euphorisant. A mi-chemin entre psychédélisme et progressif, il ouvre la voie aux œuvres majeures à venir dans les années qui suivent. Pink Floyd y réaffirme son goût pour l’utilisation décalée de sonorités improbables (peu de groupes ont osé faire d’un kazoo l’instrument soliste d’un de leurs morceaux). Un grand disque.