Récemment encore, un de mes amis me disait : "Tu vois, j’aime bien Pink Floyd. Eh bien ! J’ai écouté "The Piper At The Gates Of Dawn", j’ai rien compris".
Un petit point d’histoire musicale peut certainement expliquer cette incompréhension. Pour le grand public, Pink Floyd, c’est le groupe de "Money", "Another Brick In The Wall" ou encore "The Division Bell", les seuls titres que l’on peut avoir une chance d’entendre sur les stations FM. Il est vrai que la renommée internationale de Pink Floyd commence avec l’album "Dark Side Of The Moon" et leur tube planétaire "Money", où le groupe mit au point une savante alchimie capable de réjouir les plus exigeants adeptes du progressif tout en charmant par des titres aux mélodies imparables un large public moins enclin aux musiques complexes.
Il est vrai aussi que le groupe lui-même semble avoir tiré un trait sur sa carrière passée en ne jouant pratiquement plus jamais en concert de titres antérieurs à "The Dark Side Of The Moon". Pourtant, quand cet album sort en 1973, Pink Floyd a déjà un solide parcours derrière lui : 5 albums studio, 1 live, 3 BO ("More", "Zabriskie Point" et "Obscured By Clouds") et 1 concert (sans public !) filmé dans les ruines de Pompéi. Autant d’œuvres riches et passionnantes, mais moins immédiatement accessibles. Dans toute cette production, "The Piper At The Gates Of Dawn" a une place encore plus particulière et à double titre : d’une part, c’est le premier album de Pink Floyd, et souvent le premier disque ne reflète pas encore ce que donnera le groupe en vitesse de croisière, mais surtout c’est le seul album où le rôle de leader du groupe est tenu par le chanteur et guitariste Syd Barrett.
La vision musicale de Syd Barrett est très différente de celles qu’auront Waters, Wright ou Gilmour, ce dernier n’apparaissant qu’à partir du second album. Si l’abus de drogue et les tendances schizophrènes n’avaient pas prématurément mis fin à sa carrière, Syd Barrett aurait peut-être emmené Pink Floyd sur d’autres sentiers que ceux que le groupe finit par suivre.
Il ne faut donc pas rechercher dans "The Piper At The Gates Of Dawn" ce qui caractérisera les albums suivants. Syd Barrett écrit des titres courts, au format conventionnel mais à l’interprétation excentrique, où le chant très articulé étire les syllabes ou les comprime pour essayer de respecter la métrique des mesures. "Mathilda Mother", "The Gnome", "The Sarecrow", ou encore le déjanté "Bike" sont autant de comptines où l’univers poétique et mélancolique de Syd Barrett fait merveille. Seules exceptions, le titre d’ouverture, "Astronomy Domine", rock spatial qui ressemble plus à certains titres des albums suivants, et "Interstellar Overdrive", longue improvisation à la guitare, telle que le Floyd aimait en faire en concert, difficile d'accès et plutôt hermétique.
"The Piper At The Gates Of Dawn" est représentatif d’une époque qui fleurait bon le psychédélisme et les slogans "Love, peace and freedom". C’est l’œuvre déjà posthume d’un artiste hors norme, inclassable et ingérable, Syd Barrett. En arrivant à oublier qu’il s’agit d’un disque de Pink Floyd (du moins du Pink Floyd de Gilmour/Waters), on découvrira alors une œuvre attachante, originale et décalée.