Si on ne compte plus aujourd'hui les palettes entières de projets pataugeant dans la lenteur funèbre la plus agonisante, le Funeral Doom a pourtant connu une lente maturation. Né, d'une certaine manière, avec le Forest Of Equilibrium de Cathedral en 1992, qui n'osera plus jamais s'abîmer dans de telles profondeurs cauchemardesques, suivi en 1994 par le matriciel Stream From The Heavens de l'éphémère Thergothon, le genre voit ses bases s'établir durablement ensuite grâce aux premières excavations suicidaires de Skepticism (Aes et son unique piste de 30 minutes) et Shade Of Despair qui repoussent encore davantage ce qu'il est possible de faire en matière d'engourdissement sonore. Tyranny s'inscrit dans leur sillage.
Bleak Vistae n’est en fait qu'une démo auto-produite par les Finlandais, mais Firebox, notre tête-chercheuse en spleen préférée, l’a jugé tellement bonne qu’il a décidé de la presser en CD. Heureuse initiative, car ce EP comprenant 3 titres pour, excusez du peu, 45 minutes (!) est immédiatement considéré comme une pierre angulaire de cette chapelle doloriste.
Entité mystérieuse s’articulant autour d’un duo (M. Mäkelä et L. Lindqvist), Tyranny répand une musique forgée dans les entrailles de l’enfer, d’une pesanteur et d’une lenteur étouffantes et pourvue d’une aura noire cent fois plus effrayante que tous ces combos de True Black prenant la pose dans la cave de leur immeuble. Bleak Vistae est un édifice monstrueux, une ode à la dépression dont l’architecture trouve ses fondations dans des voix ultra caverneuses, profondes, grondantes et dans des atmosphères oppressantes proches de l’ambiant qui résonnent telles des échos funèbres.
“Passing Through Ague”, “The Leaden Stream” et l’écrasant “Drown” sont tellement dépourvus de rythmes qu’ils n’ont en définitive de Doom que le climat suicidaire, contemplatif et abyssal qu’ils exsudent avec largesse. Pourtant, malgré leur douloureuse aridité, le groupe ira beaucoup plus loin avec son successeur, Tides Of Awakening, dont Bleak Vistae est l’ébauche déjà maîtrisée.
Certes Tyranny arpente un chemin balisé par les travaux précurseurs de Thergothon, Unholy ou Skepticism, mais il parvient dès ce premier essai à conférer sa marque au genre, marque qui repose sur des compositions fleuves (jamais en-dessous de la barre des 10 minutes) dont le caractère monumental les apparente à une gigantesque cathédrale impie aux fondations enracinées dans les profondeurs de la terre. A l’instar de ces églises médiévales, la musique des Finlandais irradie une beauté grandiose mais néanmoins extrêmement noire que seule une poignée d’amateurs pourra percevoir et qu’elle chérira comme un trésor.