Une question pour commencer : quelles vertus possèdent donc les eaux finlandaises que nous ignorons ? En effet, sinon comment expliquer une telle inspiration - la plupart du temps au rendez-vous - chez les groupes nés au pays des mille lacs. Et c’est encore plus vrai avec les prêcheurs du temple de la déesse doom que l’on ne compte plus, de Reverend Bizarre à Shape Of Despair ! Ces interminables journées d’hiver ne sont certainement pas étrangère à cette propension mélancolique sinon franchement suicidaire.
Sans surprise, Black Sun Aeon est finlandais, excellent et sculpte dans la roche drapée de givre un Doom Metal qu’enténèbrent des atours Gothic/Dark à la Sentenced ou Before The Dawn, formation dont est par ailleurs issu (entre autres puisqu’il semble collectionner les groupes) Tuomas Saukkonen. Un an à peine après une première messe pour les morts, le prometteur et bien nommé Darkness Walks Beside Me, l’homme, qui partage la barre du navire avec Mikko Heikkilä, livre avec Routa un album qui n’est pas loin de mériter le titre O combien galvaudé, de chef-d’œuvre.
Le concept - l’hiver le matin (Taviaamu) et la nuit (Talviyö) - qui a présidé à sa réalisation détermine sa structure en forme de double album (et près de 80 minutes de musique répartie en quatorze pistes !). Œuvre (bi)polaire, Routa exalte à la fois la beauté et la dureté de l’hiver finlandais à travers des titres épousant ces deux aspects.
Le premier disque se veut donc plus accessible, mettant en valeur la magnifique voix claire de Mikko, chaude, émotionnelle et puissante sur les entêtants "Core Of Winter", "Frozen", véritable tube en puissance et "Sorrowsong" et son ouverture belle à en pleurer. Le temps du frissonnant "Dead Sun Aeon", il cède la place à une sirène nordique, Janica Lönn (Lunar Path) tandis que Tuomas se charge de recouvrir l’ensemble d’un voile nocturne avec son chant caverneux et ses lignes de guitares obsédantes, lanternes perçant le brouillard ("Cold").
Dès "Funeral Of World", le ton du second volet est donné : noir, lourd, granitique. Glacial. C’est toujours aussi beau, aussi déchirant ("River") mais les voix d’outre-tombe dominent, vigies funestes nous propulsant dans une nuit éternelle et menaçante, ce qu’incarnent bien les traits presque Black Metal de "Frozen Kingdom", enveloppé dans un suaire mortifère ou du rapide "Wanderer". Le point de non-retour est atteint lors du rampant "The Beast", d’une noirceur désespérée et plus encore avec la dernière respiration "Apocalyptic Reveries", monument Doom/Death qu’érigent des guitares prisonnières d’une gangue mélancolique avant de mourir sur des arpèges forestiers pleurant une tristesse infinie mais également prélude à l’aube qui ne tardera plus à se lever…
Routa, qui étonnamment ne souffre ni de sa longueur ni de la multiplicité de ses morceaux, s’impose encore comme un très grand disque de Doom Dark typiquement finlandais aussi bien dans le constant souci mélodique qui le guide, que dans ce sens de la dépression gelée comme la banquise.