Trois ans après "Insekt", les Suédois de Carptree reviennent avec leur cinquième album, "Nymf". Les années passent, les albums se succèdent, les chroniqueurs de MW changent, et pourtant deux facteurs restent constants : la qualité des productions de Carptree et le plaisir pour les dits chroniqueurs de donner leurs impressions sur de si beaux disques. Car, au risque de gâcher un peu le suspense, disons le tout de go : ce CD est excellent. Carptree poursuit dans une voie qui lui a jusqu'à présent si bien réussi. Ayant visiblement très bien assimilé les œuvres des grands maîtres du progressif, le duo suédois sait en restituer la quintessence dans un style qui lui est propre, sans qu'il puisse être trop étroitement affilié à telle ou telle obédience. Chaque titre possède son propre attrait et est différentiable des autres, ce qui ne nuit cependant pas à la cohésion de l'album. La musique est complexe sans être rébarbative, originale sans être expérimentale, mélodieuse sans être répétitive.
"Kicking And Collecting" fait par exemple penser aux titres qui servent d'introduction aux groupes de métal mélodique : une certaine emphase, une touche de mystère, un brin de religion, puis un déboulé de guitares furieuses. La musique est sombre et soutenue, contenant des riffs de guitares assez lourds et une rythmique en puissance, mais dotée d'une construction élaborée et finissant sur des chœurs gothiques du plus bel effet. A l'opposé, "Dragonfly" commence par une longue introduction instrumentale composée de quelques notes cristallines de piano auxquelles fait écho une basse lourde et oppressante. La mélodie empreinte d'un certain désenchantement est traversée d'effets sonores divers et discrets, de chœurs désincarnés et d'un cours passage échevelé au synthé (la fuite de la libellule ?). Le tout donne une impression de fin du monde.
Malgré leurs différences, ces deux titres, comme les cinq autres qui constituent l'album, gardent une cohésion par les atmosphères qu'ils diffusent, la richesse des arrangements, la superposition des instruments, qui semblent parfois jouer des partitions différentes, mais dont l'ensemble est toujours harmonieux, l'utilisation à propos des chœurs, l'alternance de moments forts et de moments doux, voire presque religieux. Ainsi, "Land Of Plenty" rappelle la belle époque de "Selling England By The Pound", "Nursery Cryme" et autres "Foxtrot", sans aucun plagiat, "The Weight Of The Knowledge", à la ritournelle qui tourne carrée, prouve qu'il n'est pas besoin d'un titre long pour faire du très bon progressif, et le très beau "The Water" conclut l'album en nous laissant une sensation de fragilité, de retenue et de grande tristesse.
Un mot du chant. Niclas Flinck a une voix typée, très caractéristique, du genre on aime ou ça énerve. Légèrement nasale, elle fait parfois penser à Peter Gabriel, Peter Nicholls et même à certains moments à David Bowie, références flatteuses s'il en est. Cependant, comme pour la musique, Niclas Flinck n'essaye pas de cloner l'un de ces quelconques chanteurs, mais a une identité propre qui colle parfaitement au style musical de Carptree.
Là réside probablement la force de ce groupe : offrir une musique de qualité, apporter sa propre touche au monde du progressif, sans essayer de vouloir être innovant à tout prix, mais simplement parce que la qualité de l'inspiration est au rendez-vous. La différence qui permet à Carptree de se hisser parmi les meilleurs.