Au cours de la longue carrière du Sabbat Noir, l’ère Tony Martin, courant de 1987 à 1991 puis de 1993 à 1996, demeure à la fois méconnue et mal aimée (ceci expliquant sans doute cela) et mérite de fait d’être réévaluée à sa juste valeur.
Déjà, le chanteur a tout de même gravé avec le groupe cinq albums. Surtout, les premiers d’entre eux sont loin de démériter au milieu de cette abondante discographie et ne sont pas plus mauvais que les derniers efforts avec Ozzy derrière le micro à la fin des années 70. Headless Cross, par exemple, le prouve.
Succédant à The Eternal Idol, échec commercial cuisant qui a souffert d’une conception chaotique, ce quatorzième album se présente avant tout comme le fruit de la collaboration entre deux fortes personnalités, Tony Iommi (forcément) et le mercenaire Cozy Powell (batterie et ex beaucoup de choses), comme l'illustre la production à quatre mains. De cette excitante association qui aurait dû être complétée par le retour de Geezer Butler, qui préfèrera finalement retravailler un temps avec Osbourne, naissent huit compositions parmi les meilleurs composées depuis longtemps par Black Sabbath ou ce qu'il en reste.
Headless Cross confirme le virage épique et lourd négocié à partir de Mob Rules (1981) et amplifié par Born Again (1983). La frappe tellurique de Cozy Powell contribue par ailleurs grandement à cette orientation plus pesante en se mariant à merveille avec le jeu sombre du gaucher. De plus, les claviers du fidèle Geoff Nichols n'ont sans doute jamais été aussi présents. C'est donc un Black Sabbath un peu différent car très mélodique et alors pas si éloigné que cela du Doom lyrique à la suédoise (le Chapter VI de Candlemass en témoigne) qui prend forme.
Baignant dans une atmosphère occulte et cryptique bien rendue, il s’agit d’un disque d'une flamboyance noire, lent sans être paresseux, qu’aucune baisse de régime ne vient polluer, pas même ce "Call Of The Wild" presque dispensable en comparaison des autres compositions toutes excellentes, du grandiose morceau éponyme au crépusculaire et final "Nightwing", théâtre d’une très belle performance de Tony Martin que n’aurait pas renié Dio, du plus rapide "Black Moon" à "When Death Calls", pour lequel le grand Brian May (Queen) se fend d’un solo.
Tony Iommi n'a pas à rougir d'un disque qui souffre d'avoir été enfanté durant l'une des périodes les plus obscures de son port d'attache. L'équipage se sent alors revigoré par ce succès plus artistique que commercial, ainsi que par une cohésion retrouvée. Pour la première fois depuis 1983, le dinosaure anglais ressemble de nouveau à un véritable groupe et peut enfin compter sur une dynamique qui l'avait déserté depuis longtemps.