"Indispensable !" (Night) - "Sensations musicales fortes !" (Tick Tock) écrivions-nous il y a peu au sujet des 4èmes et 5èmes réalisations du groupe norvégien chaperonné en son temps par Marillion, mais dont l'émancipation est aujourd'hui évidente.
C'est bien évidemment avec une impatience difficilement contenue que nous attendions un successeur à ces deux pépites, arrivé en cette fin d'année sous la forme d'un concept album, Missa Atropos, centré autour d'une idée à la fois forte tout en étant à la base quelque peu inattendue : comment sonnerait une messe dédiée à la déesse Atropos, maîtresse de la destinée dans la mythologie grecque ? Le concept est enrobé dans l'histoire d'un homme qui s'isole dans un phare pour écrire cette utopie, aboutissant finalement après trois tentatives, le sujet étant l'occasion d'une réflexion plus globale sur la solitude et la misanthropie, ce dernier terme résonnant en écho comme un jeu de mot avec le titre de l'album.
Petit changement dans le line-up du groupe, avec la présence d'un nouveau batteur, dont le jeu tout en finesse rappelle cependant celui de son prédécesseur, et renvoie de nouveau aux belles années de Ian Mosley, réussissant à faire d'un instrument traditionnellement dévoué à l'accompagnement, un véritable guide mélodique pour qui s'attachera à y consacrer une partie de son oreille pour en ressentir toutes les subtilités.
Pour le reste ? Difficile une nouvelle fois de décrire en détail la musique de Gazpacho, tant il convient de parler ici d'atmosphères, d'ambiances, de sensations et d'émotions pures.
Sombres, très sombres, les titres de Missa Atropos vont nécessiter un certain nombre d'écoutes avant de se laisser apprivoiser. Certes, Defense Mechanism va d'entrée de jeu remettre en place les ingrédients traditionnels de la musique des Norvégiens : une mélancolie prégnante, limite poisseuse, un titre qui se dévoile tout doucement sur une rythmique mid-tempo, le tout proposé par la voix chaude de Jan Henrik Ohme. Les mélodies se renouvellent à l'infini par la magie d'un changement d'accord, et les chorus tout de violence contenue déchaînent les guitares, puis se résolvent par la grâce de quelques notes simplistes mais oh combien judicieuses de piano, avant que la même recette ne finissent par se reproduire quelques instants plus tard pour un final dantesque. Quelle baffe !
Classique pour ce groupe me direz-vous, mais tellement bien fait qu'on en redemande, encore et encore. Mais à côté de ces titres longs, bien dans la tradition de "Night" ou "Tick Tock" (Splendid Isolation notamment), Missa Atropos nous présente quelques plages plus courtes, qu'à première écoute on pourrait trouver frustrantes car apparaissant comme en manque de développements… mais leur remise en perspective par rapport à la globalité de l'album finit par leur donner leur vraie place et toute leur valeur.
Et puis, les habitués de la musique de Gazpacho ne manqueront pas de remarquer les passages flirtant avec les dernières productions de Mark Hollis et Talk Talk, sortes de passages plus dépouillés illustrant à merveille la solitude qui colle au héros de l'histoire (Splendid Isolation ou encore An Audience).
Vous l'aurez compris, Missa Atropos est un nouveau concentré d'émotions pures, de celles qui, à force de beauté, font fonctionner les glandes lacrymales à une fréquence soutenue. Quel qualificatif ajouter à ceux qui se trouvent rappelés en tête de chronique ? Après quelques recherches, je proposerai tout simplement celui de fantastique, dans l'acception globale de ses différentes significations.
Pour ceux qui en doutaient encore, Gazpacho est désormais à considérer comme une pointure du rock progressif, et sa place se trouve tout à côté des groupes qui ont marqué l'histoire de ce courant depuis 40 ans. Sortir trois albums consécutifs d'une telle qualité ne peut amener qu'à une seule conclusion : ce groupe est aujourd'hui des leurs, ITE MISSA EST !.