Surprenant cette résurgence actuelle des groupes français issus de la scène Hard Rock du début des années 80. Après la parution récente des nouveaux albums d’ADX, de Satan Jokers, Still Square, Shakin’ Street, Rozz, puis la reformation scénique de Vulcain, c’est au tour de Blaspheme de reprendre du service. Encouragé par l’accueil qui lui fut réservé lors de la seconde édition du Paris Metal France Festival en 2008, le groupe décide de poursuivre cette nouvelle aventure qui l’amènera jusqu’à une prestation lors du HellFest 2010 et à la sortie de ce "Briser Le Silence". La formation initiale est presque au complet puisque au-delà de Marc Fery au chant, de Pierre Holzhaeuser à la guitare, et de Philippe Guadagnino à la basse, le seul petit nouveau est le fils de ce dernier, Aldrick à la batterie, aux guitares et aux arrangements. Derrière la magnifique, mais surprenante (si l’on se réfère à l’iconographie habituelle du groupe) pochette signée Jean-Pascal Fournie (Edguy, Manigance, Nightmare...), on trouve 9 titres, dont un instrumental, de très haute tenue.
Dès "The Crow", probablement le titre le plus accrocheur de l’album, se redécouvre un groupe très en forme. A commencer par un Marc Fery dont la voix a miraculeuse traversé les 25 dernières années sans aucune altération apparente. La qualité de la production aidant, on constate même dans ce domaine une progression, bien qu’il ne se hasarde plus dans les aiguës comme il avait tendance à (un peu trop) le faire par le passé : vraiment bluffant. Mais ce n’est pas là le seul point fort. La qualité en termes de composition est également au rendez-vous. Ainsi le morceau combine à merveille qualité des mélodies et puissance des riffs. Si à cela s’ajoutent des paroles sensibles et très musicales, on obtient une très bonne entrée en matière. Puis vient "Briser le silence" qui, dans un style un peu plus lourd, met à nouveau les vocaux en avant. La musique et les paroles font la part belle à l’émotion et on se laisse aisément prendre par l’ambiance complexe et étrange qui se dégage de ce morceau qui alterne passages lents et accélérations. Avec "Carpe Diem", le groupe augmente le tempo et renoue avec son style de prédilection.
Si les deux morceaux suivants apparaissent un peu moins aboutis, ils n’en possèdent pas moins de très bons atouts. Ainsi "Carpe Diem" est un titre très honnête qui comprend d’excellents passages rapides et entraînants, mais qui pèche un peu par manque de progression. En effet, en dehors du très bon passage déjà mentionné le reste de la chanson gagnerait à être plus homogène. Le cas de "Cœur d’enfant" est un peu similaire : le refrain et les paroles sont tout bonnement excellents, mais le reste du morceau n’est que correct, ce qui nous freine un peu dans notre plaisir. Dans les deux cas, ces deux diamants bruts paraissent avoir manqué un peu de travail et de temps de maturation pour atteindre la pureté des deux premiers morceaux. L’explication est peut-être à trouver dans le fait que, comme le groupe l’indique lui-même dans le livret du CD, ce disque fut enregistré de manière épisodique, à chacun notre tour, et un peu n’importe comment […] la situation géographique de chacun étant plutôt complexe, c’est un miracle […] que ce disque puisse voir le jour.
Avec "Qui suis-je", Blaspheme nous plonge dans un univers guilleret et entraînant. Après un démarrage sur fond de riffs bien Métal, le morceau bascule pour se transformer en hymne imparable. Le refrain, léger au possible, est immédiatement accrocheur. Du bonheur ! Avec "L’ultime errance", le propos se fait plus grave (bien que le thème de "Cœur d’enfant", l’exploitation économique des enfants, ne soit déjà pas très gai). Ce titre lourd et sombre traite de manière assez pudique de l’addiction à l’alcool. La prestation vocale de Marc Fery est remarquable et l’ensemble très poignant. Après le dispensable "De l’ombre à la lumière", le très rapide "Homme éternel" achève de nous conquérir. Heavy à souhait, doté d’un refrain fatal et d’une rythmique musclée, ce titre fait assurément partie des (nombreux) très bons moments de cet album. Un album qui se termine doucement par un instrumental hommage à leur ancien manager.
Si l'on pouvait regretter que le groupe n’ait proposé que 9 nouveaux titres, il y a plutôt lieu de se réjouir du fait que ce disque direct et jouissif ne génère aucune lassitude. Et qu’avec 5 excellents morceaux, 2 à qui il ne manque pas grand-chose pour se retrouver dans la première catégorie, et seulement deux titres réellement dispensables, il y a là de quoi se satisfaire. Par ailleurs, le disque est proposé avec un DVD qui retrace la prestation (un peu statique) du groupe au HellFest 2010, avec pas moins de 7 titres. Alors il n’y a vraiment pas lieu de se plaindre.
Après l’excellent et massif retour de Satan Jokers et la bonne surprise de Still Square, ce nouveau Blaspheme est une incitation ouverte à Vulcain et Sortilege (puisque le sort n’a pas laissé beaucoup d’espoir du côté de High Power et de Warning) pour que ceux-ci reprennent le chemin des studios. Quoiqu’il en soit, et même si l’on ne retrouve ici que peu ou pas de traces de l’esprit un peu irrévérencieux et trublion du Blaspheme des années 80, ce retour est une très belle réussite qui apporte la preuve que la passion et la volonté (avec un peu de talent tout de même) sont les meilleurs ferments du bonheur artistique.