Le poids des années n’a-t-il pas de prise sur Joe Satriani ? Tout porte à le croire à l’heure où il sort son quatorzième album. Son aventure avec le super-groupe Chickenfoot a remis ce génie de la guitare sur le devant de la scène et ce nouvel album, Black Swans And Wormhole Wizards, vient définitivement confirmer que l’inspiration et le goût pour la composition sont toujours là.
En ce qui nous concerne, Satch est le guitariste, avec Steve Vai, qui symbolise le plus l’alliance de la mélodie et de la technique. Il est vrai que depuis Engines Of Creation notre intérêt pour le travail du Californien avait lourdement chuté et c’est avec circonspection et curiosité que nous avons abordé Black Swans And Wormhole Wizards, et là, le bonheur enfin retrouvé d’une présence restée chaudement enfouie dans notre mémoire…
La quintessence de Satch se révèle avec trois albums : Flying In A Blue Dream, The Extremist et Joe Satriani. Trois chefs d’œuvre très différents mais intemporels qui s’écoutent encore régulièrement avec toujours le même plaisir. C’est une douce impression de ressentir les atmosphères de ces trois albums tout au long de ce disque.
D’abord, le premier morceau, "Premonition" qui déroule une structure simple (souvent le cas avec Satch) mais avec ce qu’il faut de mélodie. Le son s’est un peu asséché et on comprend que l’aventure Chickenfoot a laissé des traces dans l’inspiration. Prenons le morceau "Pyrrhic Victoria". On se laisse prendre au riff d’entrée qui n’aurait pas juré sur l’album des quatre rockeurs. C’est une incroyable mélodie, parfaitement aérienne comme seul Satch sait en écrire qui vient casser la fausse nonchalance du morceau. Finis les expérimentations technoïde (malgré tout plutôt réussie) ou le bazar des derniers albums.
Un des moments les plus incontournables des albums de Satch est la sempiternelle ballade. Le cahier des charges a été un peu modifié sur Black Swans And Wormhole Wizards avec un groove pas forcément adéquat au pathos digital. "Dream Song" prend forme sur un balayage à la wah-wah et garde jusqu’au bout une sobriété qui fait plaisir à entendre. Deuxième composition qui fait office de passage obligé, "Wind In The Trees" a la particularité d’un jeu tremblant à la wah-wah qui n’est pas courant chez Joe et qui vient quelque peu déconstruire tous les codes de la ballade larmoyante estampillée Satriani.
Ceux qui ont aimé l’album éponyme gardent en mémoire un blues très abrasif avec une section rythmique très âpre de Manu Katché et Nathan East. Le jeu de Satriani y était juste et l’album une vraie réussite. La finesse du jeu se retrouve ici avec la pesanteur de "Littleworth Lan"» dont une légère parenté avec le génie Jeff Beck est tentante. Cas presque similaire avec "Two Sides To Every Story" qui lorgne plus vers le jazz et la funk mais avec la même justesse. A noter le bel apport de Mike Keneally aux claviers pour créer l’ambiance si entraînante de ce morceau, et au piano lors des phrases finales de "Wind In The Trees". "The Golden Room" nous ramène directement, et de manière troublante, à The Extremist avec ses rythmes indiens et cette wah-wah si caractéristique.
L’excellent Noise, dans sa chronique de Professor Satchafunkilus And The Musterion Of Rock, écrivait : "Joe Satriani signe donc là un très bon album, même si la magie qui entourait ses débuts a tendance à disparaître au fil du temps". Bien que grand thuriféraire de Satch devant l’éternel, je ne pouvais pas lui donner tort. J’affirme qu’avec ce nouvel album la magie est de retour.