A l'époque de son album instrumental "Orchestrate" rempli d'influences classiques, et du disque de Thought Chamber avec Ted Leonard (Enchant), Michael Harris nous avait confié avoir deux projets en tête : un disque vocal plus sombre et plus agressif (le projet Darkology, qui a sorti un album) et un disque inspiré par le jazz fusion, un genre dont il a souvent laissé paraître des éléments dans ses disques. "Tranz-fused" en est le résultat. Pas un véritable disque de jazz rock, non. Harris reste un incorrigible éclectique et un amateur de métal dans l'âme. Et ce ne serait pas un disque de Michael Harris s'il ne contenait pas quelques bizarreries dont le musicien raffole !
Le guitariste s'est entouré d'une équipe variable. Deux batteurs et pas moins de quatre bassistes, parmi lesquels on trouve des noms connus, notamment d'anciens collaborateurs de son ami David Chastain avec qui il partage bien des goûts. Sur plusieurs morceaux, les arrangements guitare, basse, batterie sont complétés par les textures de claviers que Harris sort de sa guitare synthé, textures parfois très typées 70's ou bien plus modernes et futuristes, rappelant par-là ses précédents albums.
En termes de jazz rock, Harris cite l'influence d'Al DiMeola (influence qui s'est d'ailleurs exercée sur la majeure partie de la génération des guitaristes virtuoses ayant émergé dans la seconde moitié des années 80) mais aussi celle de John Scofield, Scott Henderson et Jeff Beck. En fait, Michael Harris conserve une personnalité presque schizophrénique mais bien à lui ! "Tranz-fused" mêle des éléments non seulement jazz et métal, mais aussi funk et blues. Ces influences étaient déjà présentes ici et là sur certains de ses précédents albums, comme "Words Collide", mais à des doses nettement plus faibles. Difficile de ne pas qualifier les morceaux de progressifs, celui-ci étant un genre que le musicien affectionne particulièrement.
Le premier titre, "Seizure Salad" est une sorte d'OVNI musical : le thème d'ouverture très sautillant semble adapté à une sorte de dessin animé humoristique ! Le couplet suivant est à la fois funk, métal et jazz-rock, avec un son de guitare clair, une basse ronflante, une batterie volubile, un synthé typé années 70 et un premier solo aussi mélodique que complexe au son plein de réverbe. Et nous ne sommes pas à la moitié du morceau ! Break métal, accélération brutale, retour au thème d'intro et au premier couplet mais avec une variation d'arrangement (à la guitare acoustique à un moment !), troisième solo énorme… Vous avez compris : les auditeurs peu attentifs auront du mal à suivre ! Voilà un premier titre qu'on pourrait qualifier d'épuisant !
"Wizard Of Odd" (allusion aux rythmes de mesures impaires !) est plus long et pourtant plus accessible, plus mélodique. Les passages planants à la guitare glissando qui alternent avec les couplets au rythme moyen et funky, donnent un aspect musique de film de SF à l'ensemble, mais la batterie et la basse ronde et infatigable maintiennent un climat assez dynamique. Après cette très relative accalmie, "Rocket Surgery" est le morceau le plus long de l'album et dire qu'il est contrasté serait un euphémisme ! Heureusement, "Blue Shift" offre un magnifique répit, une belle ballade au son de guitare très clair et spatial, très proche de celui d'Allan Holdsworth mais avec une teinte blues inhabituelle chez ce dernier. La suite est un peu du même acabit. Peu de musiciens oseraient mêler une partie de guitare acoustique jazz avec un riff métal, des synthés ultramodernes et un piano électrique funk sur le même morceau… Michael Harris l'a fait ("Left Or Right") ! Si plus de la moitié des morceaux est assez complexe et laisse peu de répit à l'auditeur, il reste heureusement plusieurs morceaux moins denses, qui évitent à l'auditeur de se lasser, comme "Nitrous Oxyde Strut" (quel curieux titre !) et "Pathos".
Par contre on aurait aimé davantage de mélodies accessibles. Parfois, ce foisonnement de thèmes et de rythmes où s'intercalent souvent des sections plus ou moins dissonantes est assez difficile à suivre… Un morceau comme "Professor Grunklesplat’s Math Assignment" possède bien un thème lyrique au centre mais globalement, il est avant tout délirant et dissonant. Et même parmi les morceaux plus calmes, tout n'est pas si réussi : "Ocean Blues", qui termine le disque, manque d'ampleur avec son timbre trop sec sur les parties solistes, malgré les rythmiques claires pleines de réverbe à la façon d'Alex Lifeson (Rush).
Globalement, la performance du guitariste et de ses illustres invités est tout simplement remarquable… voire même époustouflante à plusieurs reprises. Nous avons affaire à des musiciens de très grande classe, qui possèdent effectivement des racines jazz et non pas seulement rock ou métal. Le Français Bunny Brunel (de CAB) est d'ailleurs un des bassistes de jazz-rock les plus fantastiques de ces dernières années.
Ainsi Michael Harris rend hommage – à sa façon ! – à un genre qui connu son apogée au milieu des années 70, comme le rock progressif avec lequel il partage parfois des points communs, notamment celui de mélanger différents styles, d'intégrer de nouvelles sonorités. En bref, de produire une musique sophistiquée destinée à élargir les horizons musicaux de ceux qui l'écoutent. Les amateurs de virtuosité et de fantaisies rythmiques seront comblés… Harris reste un artiste hors du commun qui mérite bien que l'on fasse preuve de curiosité musicale.