En 1993, affranchi de l'extension du project, Alan Parsons repart à l'assaut de son auditoire, avec un risque de taille: celui que personne n'y trouve son compte. Eric Woolfson a entamé de son côté une discrète carrière en solo, et la rupture musicale est franche. Pourtant, la jaquette et le booklet aux allures psychédéliques auraient pu faire penser qu'on allait jouer les prolongations. Dans les faits, Try Anything Once n'est ni (néo)progressif, ni atmosphérique, ni pop, ni rock, ni même un mélange de tout cela: pour qu'il y ait cocktail, il faut une synergie entre les genres. Or, ce n'est pas le cas ici. Comment dès lors classifier cet album ? rock alternatif ? Difficile à dire. En décortiquant les crédits, on diagnostique assez vite le pourquoi de la confusion: outre l'absence du coéquipier Woolfson de l'époque APP, Parsons n'a signé que 2 titres, les deux instrumentaux Breakaway et Dreamscape; et coécrit quelques autres avec Bairnson, Powell, et Pack. Alors certes, d'anciens musiciens et co-créateurs du Project continuent ici d'apporter leur contribution, notamment Andrew Powell et Ian Bairnson. Mais la collusion Parsons/Woolfson a vécu, et le résultat s'en fait immédiatement ressentir. Le titre de la galette semble assumer la nouvelle orientation: il faut tout essayer, au moins une fois.
Résultat ? Passée l'introduction de la première plage, The Three Of Me, le fan du Project de la première heure risque bien de refermer ses oreilles et de crier à l'imposture. Pourtant, derrière sa rythmique sèchement formatée FM, ce premier titre dissimule des accents hautement ésotériques. Le résultat est indéfinissable. Certains auditeurs y seront sensibles, d'autres pas, mais l'unanimité ne sera sûrement pas obtenue. A noter que le décryptage des paroles peut apporter un (petit) plus non négligeable à l'appréciation de ce morceau. Une impression similaire se dégage à l'écoute de Turn It Up, qui s'ouvre sur une entrée en matière assez prometteuse, de celles qui vous disent qu'il va se produire quelque chose de très fort, mais on perd ses illusions à l'arrivée du refrain, désespérément plat. Wine From The Water a des faux airs d'influence Woolfson (Eric Stewart au chant), et nous embarque au cœur d'une ambiance récréative, reposante, mais en décalage complet avec ce qui a précédé. De sonorités rock, plutôt sèches, on tombe dans un élan pseudo chill-out. Breakaway achève de dérouter: il est, pour sa part, plus fidèle aux inspirations APP, mais de facto il modifie une fois encore le cap de l'album. On se croirait ici dans les coulisses de Vulture Culture.
Le plus ennuyeux, c'est que nous arrivons aux deux faux pas qualitatifs de Try Anything Once: Mr Time, inutilement long et affublé de la voix de Jacqui Copland, peu évocatrice, et I'm Talkin' To You, qui en fait n'a pas grand chose à dire: le manque d'inspiration est assez flagrant. Alors d'accord, il reste deux belles pièces qui peuvent se prévaloir de facultés lyriques et aériennes, parmi celles qui ont fait le succès du Project: Siren Song et Oh Life, clôturant l'album. Et demeure aussi la Parsons touch, par le biais de quelques (trop) courts moments, à savoir Jigue, Re-Jigue, et le très réussi Dreamscape, dont le nom à lui seul évoque l'objectif: l'évasion du rêve, ou le rêve de l'évasion, est presque parfait(e). Mais tout ce petit monde apparaît comme bien perdu au milieu d'un ensemble en manque total de cohérence. Ainsi, on se demande ce que Jigue va bien pouvoir susciter comme intérêt, coincé entre Mr Time et I'm Talkin' To You.
N'oublions pas de mentionner la plage n°10: Back Against The Wall. Et pour cause, c'est l'une des meilleures de l'album ! Enfin une rythmique qui tient la route, un choix vocal judicieux (Chris Thompson), une mélodie rock et accrocheuse, une personnalité bien affirmée qui rappelle celle du mémorable Psychobabble de Eye In The Sky (époque glorieuse !). Au final, l'album mérite au moins le détour pour la présence de Dreamscape et de Back Against The Wall, et pour ajouter un argument beaucoup moins universel, The Three Of Me.
Cet album souffre en fait d'une réelle lacune sur l'aspect de la production (et on retrouvera le même symptôme sur les opus à venir): il aurait fallu élaguer d'une part, et d'autre part recentrer la musique sur un choix artistique mieux défini. De bonnes idées mises ensemble -et toutes ne le sont pas- ne font pas la bonne idée du projet. Ici, on a l'amer sentiment que Parsons s'est contenté de prêter son nom, en laissant l'équipage composer à sa place... dans un grand désordre.