Avec Ummagumma, Pink Floyd affirme une nouvelle fois l'originalité de sa démarche artistique. En effet, le groupe britannique nous propose un double album, ce qui n'est pas original en soi. Par contre, mettre dans le même emballage un disque live et un disque studio, voilà qui est beaucoup plus étonnant. Le disque live est constitué de quatre titres enregistrés lors des concerts donnés en avril/mai 1969 à Birmingham et Manchester, chacun occupant à peu près un quart de la durée du premier CD. L'album commence sur une version rallongée du spatial Astronomy Domine (The Piper At The Gates Of Dawn), suivie de l'extraordinaire Careful With That Axe, Eugene, ce titre étant paru en face B d'un 45 tours (les plus vieux sauront de quoi je parle, les plus jeunes demanderont à leurs parents).
Le morceau commence par une lente progression éthérée, constituée d'un orgue lancinant, de gémissements plaintifs et d'une batterie omniprésente, mais toute en finesse et légèreté. Puis, Roger Waters chuchote les seules paroles du titre, "Careful with that axe, Eugene", qui peut se traduire littéralement par "Fais gaffe avec cette hache, Eugène", mais aussi par "Fais gaffe avec cette guitare, Eugène", axe pouvant signifier guitare en langage familier. L'avertissement est d'autant plus important qu'à peine ces mots prononcés, un hurlement inhumain vient rompre la fausse tranquillité du morceau, et donne le départ à un déluge furieux de décibels. Je ne sais pas d'où Roger Waters sort ces cris, mais l'effet est saisissant. Puis le calme revient progressivement et la musique va diminuendo jusqu'à mourir. L'un des plus beaux titres de Pink Floyd, à flanquer la chair de poule aux plus aguerris.
Set The Controls For The Heart Of The Sun fait écho à Astronomy Domine dans une version également plus longue que la version studio de A Saucerful Of Secrets dont le titre est tiré, tout comme A Saucerful Of Secrets (le morceau), dont la version live bénéficie de chœurs renforcés dans la dernière partie, donnant une ampleur plus majestueuse à ce titre que l'original.
L'album studio, enregistré à Abbey Road, est, tout comme le live, découpé en quatre parties égales, chaque musicien s'étant vu octroyé la mission de composer seul le ou les titres devant combler l'espace lui étant alloué. Le regretté Richard Wright ouvre le bal avec Sysyphus, un morceau symphonique en quatre parties… complètement raté. Le plus mauvais (peut-être le seul mauvais) morceau composé par Richard Wright, pompeux, grandiloquent et prétentieux.
Roger Waters est mieux inspiré avec Grandchester Meadows, aux allures de ballades, et l'étonnant Several Species Of Small Furry Animals Gathered Together In A Cave And Grooving With A Pict qui, au-delà de la longueur inhabituelle du titre, n'est constitué que de bruitages ressemblant à des cris d'animaux bien excités qu'on préfèrerait ne pas rencontrer (interprétés en partie par Waters lui-même, qui est décidément étonnant sur cet album) et se termine sur un texte déclamé de façon excentrique. Aucun instrument, aucune mélodie, et pourtant ce morceau est fascinant. Expérimental, certes, mais avec du sens, dégageant une puissance émotionnelle rare.
Avec The Narrow Way, David Gilmour donne libre court à son talent de guitariste, mais aussi de compositeur. Si les deux premières parties sont assez expérimentales, avec des sons qui s'enchevêtrent et se font écho, la troisième partie délivre une très belle mélodie dont on ne se lasse pas.
Enfin, Nick Mason ferme la marche et livre avec The Grand Vizier's Garden Party ce qui s'avère être un pensum indigeste. Hormis l'introduction et la conclusion jouée à la flûte par l'épouse de Mason, le reste n'est qu'une inutile démonstration de percussions en tout genre, Nick Mason n'ayant pas besoin de ce genre d'exercice pour prouver son talent. Personnellement, j'ai toujours considéré les solos de batterie comme des exercices narcissiques sans intérêt musical. Celui-là n'échappe malheureusement pas à la règle.
Ummagumma reste l'un des meilleurs disques de Pink Floyd que tout amateur de bonne musique se doit de posséder dans sa discothèque, et mérite la note maximale, en dépit des faiblesses de Sysyphus et de The Grand Vizier's Garden Party. A lui seul, Careful With That Axe, Eugene justifie l'achat de ce CD que la maison de production a le bon goût de rééditer régulièrement. Si vous ne l'avez pas encore, précipitez-vous.