C’est pendant l’aventure Dead Soul Tribe que l’envie de Devon Graves a germé de travailler avec des musiciens dont la technique pourrait répondre à ses inspirations les plus extrêmes. Trois ans après son dernier album, A Lullaby For The Devil, Devon nous propose son nouveau projet, The Shadow Theory, en réunissant le bassiste Kristoffer Gildenlöw (ex-Pain Of Salvation), le batteur de Threshold Johanne James (qui vient finalement remplacer Mike Terrana, premier choix de Devon Graves), le guitariste de Complex 7Arne Schuppner et le clavier Demi Scott. Behind The Black Veil est un album composé sous un même concept, avec de nombreuses séquences très scénarisées, bruitages et voix de personnages plus intriguant les uns que les autres. Au milieu de ceci se développe un métal progressif ambitieux et technique comme Psychotic Waltz pouvait en offrir il y a quelques années encore.
Le premier titre, "I Open Up My Eyes", débute sur une ambiance lourde et intrigante avant de laisser place à un riff d’enfer qui ne sera perturbé que pour un refrain atmosphérique tout en finesse et en mélodie. C’est d’ailleurs une des principales caractéristiques de cet album de proposer une musique parfaitement ciselée et réfléchie en termes mélodiques. La section rythmique est impressionnante et la liberté de Gildenlow et James est totale. Dans Behind The Black Veil, la voix de Devon Graves (dont le côté lancinant a souvent créé le dissensus) semble trouver beaucoup plus de nuances et les passages plus puissants sont parfaitement négociés. De plus, l’atmosphère générale du disque ne peut que rendre cette voix encore plus juste et expressive. Beaucoup de morceaux débutent sur une séquence acoustique aux mélodies mélancoliques et apathiques ("The Sound Of Flies" ou "Ghostride") avant de basculer dans un métal progressif à la limite du thrash, mais toujours avec les ingrédients qui font de ce disque un album différent : noirceur, chants torturés, puissance à la limite du black métal.
L’auditeur pourra néanmoins se raccrocher à de nombreuses références du métal progressif avec Threshold ("Welcome"), Dream Theater ("Ghostride") ou Andromeda ("By The Crossroads"). Au milieu de cette déferlante technique et ténébreuse existe une percée lumineuse symbolisée par trois minutes d’un bonheur pur et réjouissant. "Selebrate" vient prendre place au milieu de l’album et donne une nouvelle couleur à la musique de The Shadow Theory. Le temps d’un morceau, aussi là pour souffler, la voix de Devon Graves se fait moins tourmentée et le groove de la basse-batterie tranche avec la pesanteur de la section rythmique entendue jusque là.
Le reste de l’album va peu à peu muter afin de permettre au dernier morceau de prendre toute sa dimension. En effet, "A Symphony Of Shadows" est introduit dès "Snakeskin" avec la présence forte du côté théâtral de The Shadow Theory, renforcé par les orchestrations de plus en plus ambitieuses. Le paroxysme est atteint avec ce titre audacieux et complexe qui évoque l’esthétique d’un Tim Burton.
Behind The Black Veil est un album ambitieux, complexe et technique, dont la musique n’est pas facilement catégorisable. La facilité serait de dire que The Shadow Theory se situe quelque part entre Psychotic Waltz et Dead Soul Tribe, le thrash progressif du premier et le métal tribal et poisseux du second. Mais Devon Graves a réussit bien plus qu’une synthèse de ces expériences passées pour donner naissance à quelque chose de différent et d’assez original dans le paysage métal progressif classique (comme il l’a d’ailleurs fait avec ces deux précédents groupes). The Shadow Theory est arrivé à créer un concept autour d’une atmosphère très pesante sans oublier d’y incorporer des mélodies, et ceci tout au long de l’album. C’est clairement un des albums de métal progressif les plus marquants de cette année.