1969, le Flower Power bat son plein, le LSD et diverses autres substances hallucinogènes aussi… Barbet Schroeder réalise un film aux relents psychédéliques. Pink Floyd est à la mode, et le groupe, avec ses étranges paysages sonores, semble plutôt adapté pour faire une BO de film sur le mouvement Hippie, les drogues dites psychédéliques et leurs travers. En effet, "More" décrit la descente aux Enfers d'un jeune homme entiché d'une minette camée, qui se déroule en partie sur une île d'Ibiza alors quasiment déserte au sein de communautés branchées. Les atmosphères du film sont très contrastées et la musique est à l'avenant. "More" est certainement l'un des disques les plus diversifiés du Floyd. La première face présente surtout des morceaux chantés tandis que la seconde, au contraire, contient en majorité des instrumentaux et une seule chanson.
Roger Waters fait fort dans la diversité avec les trois premiers titres qu'il signe seul ainsi que les deux autres chansons de la première face : "Cirrus Minor" est absolument superbe, débutant avec des chants d'oiseaux qui sont partiellement recouverts par des accords d'harmonium solennels, sur lesquels s'élève la voix de Gilmour pleine de réverbe comme dans une église, accompagnée par une guitare acoustique. Différents effets de réverbération donnent une atmosphère onirique au morceau, un peu comme sur "Julia Dream" du même Waters.
Inversement, "The Nile Song" est un morceau de Hard-Rock ! Il s'agit sans conteste de l'une des pièces les plus violentes qu'ait jamais enregistrées Pink Floyd ! Violente mais mélodique avec plusieurs guitares saturées, une batterie martelée par un Mason méconnaissable, et encore la voix de Gilmour, braillarde et agressive au possible. Richard Wright semble complètement absent du morceau. Retour au calme avec "The Crying Song" où Gilmour, qui chante sur tout l'album, murmure une mélodie rêveuse sur fond de guitare acoustique et de vibraphone, avec une rythmique très discrète et quelques guitares électriques plaintives en final. C'est une douche écossaise ! Et ce n'est pas fini avec "Up The Khyber", cosigné par Mason et Wright, un curieux instrumental où figure une partie de piano dissonante et vaguement jazzy complétée par un orgue avec, en fond sonore, une partie de batterie déchaînée plus ou moins indépendante. "Green Is The Colour" est une ballade vaguement américanisante à la guitare acoustique et au piano, chantée en voix de fausset par Gilmour avec un pipeau approximatif joué par Dieu-sait-qui… Le magnifique "Cymbaline" semble revenir vers le climat onirique de "Cirrus Minor", une majestueuse mélopée, sombre et légèrement hispanisante, avec guitare acoustique et piano, chantée par la voix claire et gutturale de Gilmour mise en valeur par la réverbe, qui s'achève par une belle partie instrumentale à l'orgue. Le morceau évoque parfaitement un voyage au sein d'un paysage méditerranéen ensoleillé avec la mer languide en toile de fond. Pour finir, le très court "Party Sequence" affiche rythmes percussifs tribaux sur lesquels se superpose un flûtiau champêtre !
La face B correspond aux moments les plus tendus du film et démarre avec "Main Theme", sur un orgue et des cymbales menaçantes. La mélodie légèrement orientalisante est tracée par un synthé ou un orgue Farfisa, avec quelques guitares glissando. Ce sont plutôt les claviers de Wright qui dominent cette face, avec toute une série de sonorités bizarres comme celles entendues sur "Set The Controls For The Heart Of The Sun" en live et "Ummagumma" en général. On retrouve en effet des sons d'orgue bizarres tout au long de "Quicksilver", un morceau sans réelle structure, pas violent ni même nerveux, mais qui ne se départit jamais d'une certaine menace latente. Seul "Ibiza bar", qui semble une variation sur "The Nile Song", laisse de nouveau la place aux guitares électriques saturées avec force roulements de batterie et un orgue en plus. Le court blues "More Blues", produit une atmosphère malsaine, avec uniquement la guitare accompagnée de la basse et d'une batterie pleine d'écho, sans clavier. "Spanish Piece" est un court délire flamenco avec un Gilmour qui susurre un texte parlé d'une voix grasse répugnante… Enfin, "Dramatic Theme" achève brièvement le disque en une glissade inquiétante d'à peine 2 minutes.
"More" est une musique de film avec les limites inhérentes au genre. Néanmoins, l'album représente toute une époque. Il a l'avantage de réunir des aspects très différents du Floyd – dont quelques morceaux magnifiques – et de présenter des recherches sonores inédites pour l'époque. Si vous n'avez pas encore le CD, préférez sans hésiter le remaster de 1995, dont le son a été très nettement amélioré, sans parler d'un livret complet de 20 pages avec les textes des chansons, un essai sur le film et de nouvelles illustrations, preuve que l'on peut sortir une édition meilleure que l'originale en LP !