Malgré le succès artistique de Dehumanizer, le retour de Dio le lutin au sein du sabbat noir aura été (trop) rapidement avorté. Les problèmes d’ego auront donc eu raison d’une entreprise clairement conçue comme la reconquête d’une gloire passée. Eternel bouche-trou viré comme un mal propre et dont le manque d’orgueil peut agacer, Tony Martin est rappelé par le guitariste gaucher en vue d’enregistrer un nouvel opus. Si, de la mouture précédente, Vinnie Appice se voit remplacé par Bobby Rondinelli (ex Rainbow), en revanche le mythique Geezer Butler continue étonnamment l’aventure.
Mis en boite très vite durant l‘été 1993, Cross Purposes ne verra pourtant le jour qu’en février de l’année suivante. Pourquoi un tel délai ? En fait, depuis 1992, des négociations avec Ozzy Osbourne (et accessoirement Bill Ward) en vue d’une reformation du line-up historique, sont en cours. Il est évident que Tony Iommi n’attend désormais plus que la concrétisation de ce qui tient pour beaucoup du rêve impossible. Par conséquent, les années qui séparent le départ prématuré de Dio et le retour d’Osbourne en 1997 sont parasitées par les rumeurs, les tractations dans l’ombre qui expliquent la position inconfortable de Cross Purposes et de son successeur, Forbidden, œuvres transitoires mal aimées et encore plus méconnues que les premiers albums avec Martin.
Et encore fois, on ne peut que le regretter. Non pas que ce dix-septième opus soit incontournable mais il peut compter sur le savoir-faire de ses géniteurs, notamment en terme d’interprétation, pour lui conférer une bonne tenue de route. Il est en outre permis de penser que le groupe en aurait certainement davantage soigné la composition si le contexte avait été différent.
Ainsi, Cross Purposes souffre, sinon d’un manque d’inspiration, au moins d’un menu inégal, alternance de titres franchement réussis, de l’inaugural "I Witness" au mélancolique "Cross Of Thorns" (réellement superbe celui-là), en passant par les cryptiques "Psychophobia" et "Virtual Death" aux ambiances doomy, et d’autres plus quelconques bien qu’agréables, à l’image de "The Hand That Rocks The Cradle", "Dying For Love", que cisaillent cependant des lignes de guitares éblouissantes, ou bien encore "Evil Eye" pourtant coécrit par Eddie Van Halen !
Moins lisse que Tyr, moins lourd que Headless Cross, ce nouveau rejeton sabbathien pâtit en définitive d’un déséquilibre entre une première partie en tout point honorable et une seconde plus banale. Il mérite néanmoins à l’instar de tous ses compagnons de galère chantés par le sous-estimé Tony Martin, qu’on lui donne une nouvelle chance. Il y a là suffisamment de bons moments pour justifier une (re)découverte.