On mesure maintenant combien les deux premières livraisons d’Eibon, à la fois le split avec Hangman’s Chair et le EP éponyme, aussi intéressantes soient-elles, n’ont en réalité qu’à peine déflorer l’immense potentiel de leurs auteurs. Preuve en est ce Entering Darkness, premier galop d’essai (très) longue durée qui réussit l’exploit de dépasser toutes les attentes suscitées par les performances sismiques des Franciliens.
Tout d’abord arrimé à la chapelle Sludge, dont il reste des oripeaux dans certains riffs et structures, Eibon s’emploie néanmoins à s’en détacher progressivement pour s’enfoncer dans les méandres d’un Doom massif et tellurique plus Death que sludge, notamment grâce à la voix rugueuse du faussement patibulaire Georges Balafas, chanteur (et guitariste) des death metalleux de Drowning.
Sur une assise rythmique du feu de dieu, le groupe sculpte dans le granite des compositions fleuves (la plupart dépassent les dix minutes) aux reliefs plus travaillés qu’il n’y parait (à l'image par exemple des claviers aux teintes seventies colorant "Convulse To Reign", que traverse un pan atmosphérique étonnant mais superbe). Ses titres à l’architecture grise et terrassante témoignent d’une longue maturation. Les mecs ont bossé, fignolé leur album qui se déploie sous la forme d’un bloc compact de matière brute, terreuse. Chaque recoin, chaque angle (mort) ont été pensés. Pourtant, malgré le boulot abattu en terme d’écriture, l’ensemble suinte une espèce de violence sourde, pour ne pas dire souterraine.
Etouffant tout du long, Entering Darkness parait progresser vers une fin que l’on devine funeste. Chaque morceau prend la forme d’une marche supplémentaire vers une mine de charbon sans espoir de retour. Proche parfois d’un Runemagick jamais réellement remplacé, Eibon aime à tricoter un maillage épais au bord de la rupture. Le temps semble alors s’arrêter, suspendu au-dessus d’un gouffre abyssal, témoin "Entering Darkness" et plus encore la seconde partie proprement démentielle du terminal "Path To Oblivion" et ses quatorze minutes tragiques et belles à en pleurer à la fois, et dont on se demande ce qui aurait pu leur succéder. Rien en fait. C’est une conclusion lente, mortifère après laquelle il ne peut rester que des cendres. Des ruines.
Eibon accouche d’un premier album extrêmement bien écrit, peinture désespérée d’un monde agonisant, où chaque musicien, clairement, joue un rôle dans l’érection d’un édifice colossal que rongent les assauts d’une tristesse infinie. C’est sans doute un des meilleurs albums estampillé Doom enfanté dans l’Hexagone. Tout simplement !