1987, Midnight Oil gratifie une nouvelle fois ses auditeurs d’une réalisation dont le brio n’a d’égal que la très grande qualité de la production. La recette n’est pas tellement différente de celle du mémorable opus de 1982, à savoir la prédominance d’une rythmique résolument pop/rock (batterie et percussions proposant un jeu extrêmement formaté), pour soutenir un esprit… que l’on pourrait pratiquement qualifier d’épique. C’est en effet ici que réside le savoir-faire de ce groupe, et c’est très rare dans l’histoire du rock, parvenir à susciter des émotions inhérentes à la musique progressive, au travers d’une construction pop FM –le refrain récurrent restant le pilier de la plupart des morceaux- , de sonorités presque trop homogènes, et de prestations vocales qui dominent l’instrumentation. De prime abord, seule la présence des cuivres permettrait d'envisager la tendance à l'éclectisme, à moindre mesure; mais ce serait mal connaître Midnight Oil.
Beds Are Burning, qui introduit l’album, est révélateur de cette efficacité musicale bien peu commune: là ou d’autres compositions, édifiées sur le même schéma, vont marteler leur ritournelle sans parvenir véritablement à accrocher l’oreille, ou pire, réussir à induire chez l’auditeur un sentiment de lassitude, ce premier titre s’adjuge la force de persuasion d’un certain Another Brick In The Wall (Pink Floyd), pour donner un exemple emblématique. Bien d’autres compositeurs se contenteraient d’une seule et unique création de cette trempe, priée de porter très haut l’étendard de leur projet, pendant que la suite du programme serait plus ou moins envisagée sous l’angle du remplissage. Midnight Oil, de son côté, ouvre indiscutablement le bal de Diesel And Dust de manière percutante, mais n’entend rien laisser au hasard pour la suite des festivités.
Les festivités au sens propre, justement, font partie des talents de Midnight Oil qui ne déméritent jamais : ainsi, les énergiques et enjoués Dreamworld et Sometimes sont tout simplement irréprochables. Dans un registre assez différent, le pouvoir hypnotique d’un Put Down That Weapon ou d’un Sell My Soul s’insinue rapidement dans l’oreille, avant de gagner les entrailles ; l’aventure peut aussi prendre le goût d’une amertume prononcée, voire d’une désillusion torturée (Arctic World).
Mais peut-être serez-vous plus sensible encore aux élans "va-t-en-guerre" de cette musique, dont les inaltérables Warakurna, Dead Heart, Gunbarrel Highway ou Bullroarer font leur cheval de bataille. Sans même parler de l’orientation des paroles (notamment ici, l’évocation du patrimoine aborigène), il y a quelque chose de hautement combatif dans l’esthétisme de ces créations, comme un encouragement à la défense ultime, héroïque si nécessaire, de valeurs morales ou éthiques. Une force de caractère étroitement liée à la constance de l’engagement idéologique, indissociable de l’inspiration de ce groupe ? Disons-le clairement, il n’est pas permis d’en douter.
On ne peut guère reprocher à Diesel And Dust que l’omniprésence vocale de Peter Garrett, qui pourrait éventuellement paraître envahissante, par moments. Mais comment ne pas féliciter un tel album ? Avec Midnight Oil, on peut passer de la marche funèbre d’un ténébreux rock introspectif à l’éloge lumineux d’un lyrisme multicolore, porteur d’idéaux. Tout cela, au moyen d’un seul et même album, et dans une cohérence sans faille. Vous avez dit impossible ? Impossible n’est pas Midnight Oil.