The Devil You Know mis à part car publié sous le nom de Heaven And Hell, Forbidden demeure encore aujourd’hui le dernier effort officiel de Black Sabbath. Dans les bacs en 1995, une époque où il est alors de bon ton d’éreinter les dinosaures (Rainbow ou Iron Maiden, par exemple, en feront également les frais), cet opus symbolise malgré lui la situation chaotique que le groupe connaît à ce moment là de sa carrière, coincé entre l’attente d’un hypothétique retour du Madman qui se fait de plus en plus désiré, et un perpétuel jeu des chaises musicales.
Ainsi, apparemment déçu par Cross Purposes, le bassiste historique Geezer Butler quitte une nouvelle fois le navire. Il est remplacé par Neil Murray, dont il avait pris la place en 1992 ! De même, Cozy Powell récupère le poste de batteur. Quelle stabilité ! C’est donc le line-up qui enfanta Tyr qui se réunit pour graver ce Forbidden de mauvaise mémoire pour les fans et qu’il convient encore une fois de (re)découvrir et de réévaluer à sa juste valeur. Capturé très (trop) vite en quelques semaines sous la houlette du producteur de Body Count ( ?), Tony Iommi désirant raccrocher Black Sabbath au métal moderne en vogue au milieu des années 90, c’est une œuvre mal dégrossie qui a quelque chose d’un brouillon, d’une ébauche griffonnée dans l’urgence.
Desservie à la fois par une prise de son qui ne met jamais en valeur le travail de composition et par les dissensions internes survenues très tôt entre le guitariste et Cozy Powell, ces titres sont pourtant loin, très loin même, d’être mauvais et s’inscrivent dans la continuité des albums façonné depuis 1987. Si "The Illusion Of Power" se révèle en ouverture assez pénible (le fait que Ice T. ait rappé un couplet n'y est sans doute pas étranger), ce qui suit n’est en revanche pas sans qualité, de "Guilty As Hell" et son riff à la "Headless Cross", à "Can’t Get Close Enough" qui démarre dans une ambiance feutrée avant de continuer lourdement, de "I Won’t Cry For You", superbe illustration de toute l’émotion dont Black Sabbath peut être capable, jusqu'au sombre "Kiss Of Death".
Les idées sont là, faisant même de Forbidden un des disques les plus aventureux du groupe, à l’image des lignes vocales de Tony Martin qui tente, non sans réussite, de s’affranchir de l’influence de son prédécesseur Ronnie James Dio ("Get A Grip"). Ceci étant, malgré quelques morceaux de bravoure, l’ensemble reste bien entendu très inférieur aux pierres angulaires passées et même aux bandes mises en boîte l’année suivante par Iommi et Glenn Hughes, The 1996 Dep Sessions et dont on se demande pourquoi elles sont restées dans un placard jusqu’en 2004 !
Fort d’un tel équipage au commande et d’une écriture convaincante, Forbidden n’aurait pas dû être l’échec tant commercial qu’artistique qu’il a été. La suite, vous la connaissez : le comeback d’Ozzy Osbourne pour des concerts seulement, le retour en grâce du Sabbat Noir, l’épisode Heaven And Hell à la triste conclusion. Le groupe accouchera-t-il un jour d’un nouvel album sous son nom ? Ce n'est pas si évident...