Voici donc le dernier album du groupe américain The Reign Of Kindo. Ces originaires de Buffalo (Etat de New York, USA) n’en sont pas à leur coup d’essai. Né des cendres du combo This Day Ans Age - trois albums entre 2002 et 2006 -, The Reign Of Kindo a fait paraître un EP en 2007, puis Rhythm, Chord & Melody une année plus tard.
Le quintet nous revient en 2010 avec This Is What Happens. Première prise de contact avec ce groupe schématiquement décrit sur Myspace comme “jazz inspired progressive pop rock”, et première écoute de cet opus : l’impression jazz prédomine tout d’abord, avec cette très large mise en avant du piano, rejetant les guitares loin derrière. Curieusement, malgré le jeune âge des musiciens, le son n’est pas résolument moderne, les synthés sont presque totalement absents et le set de batterie assez réduit (caisse claire et seulement deux toms à l’image, à comparer avec les sets énormes du prog ou du métal). Cette mise au centre du piano est une réminiscence du genre piano rock, dont Little Richard ou Jerry Lee Lewis ont été les pionniers : le groupe se réclame d’ailleurs de Ben Folds, une des figures actuelles du genre, plus connu aux States qu’en Europe.
Certaines lignes musicales paraissent assez rétro : Soon It Shall Be fait immanquablement penser à Mack The Knife, un standard de l’Opéra de Quat’sous (1928 !). Tout cela pourrait ne pas paraître très moderne... et pourtant, à l’écoute, la technique des musiciens parlant, l’ensemble se révèle d’un modernisme tout à fait surprenant.
Car ces musiciens-là, de toute évidence, sont de grande classe : le dynamisme de la section rythmique saute aux oreilles - la précision et l’inventivité de Steve Padin à la batterie méritent qu’on s’y arrête -, la mise en place des chœurs est millimétrée, et Joseph Secchiaroli assure les vocaux avec une exactitude et une sensibilité remarquables : si son timbre suggère celui de Göran Edman (Karmakanic) pour les connaisseurs de prog’, ou celui de James Morrison pour les amateurs de pop actuelle, sa diction et l’intelligence de son phrasé rappellent Philip Griffiths (Alias Eye) : écouter en particulier Blistered Hands ou Soon It Shall Be, véritables pièges pour chanteur peu inspiré en raison du caractère éthéré de l’accompagnement. Ajoutez à tout cela une production très fine, mettant en évidence tous les détails de percussion et les moindres inflexions vocales, et vous avez là les ingrédients d’un album techniquement irréprochable.
Et le côté progressif, dans tout cela ? Il est quasiment absent dans l’orchestration : les claviers sont essentiellement limités au piano, quelques touches de violon se font entendre (Nightingale, Psalm par exemple), ou des pointes de trompette ou de mandoline, mais nous sommes très loin des débauches symphoniques, et le groupe ne recourt aux passages instrumentaux que de façon brève, à part la longue introduction de City Lights & Traffic Sounds. Par contre, les structures musicales sont bien loin d’être répétitives, et le côté évolutif des titres est bien dans un esprit progressif, même si les amateurs de développements à rallonge trouveront dans un premier temps le propos limité ; les écoutes successives révèlent au contraire bien des petites richesses qui font le sel des bonnes cuvées. Les seules limitations ressenties seraient plutôt le côté un peu trop jazz, voire free-jazz, comme dans Bullet In The Air, plus hermétique, et un abord moins évident que les productions progressives davantage centrées sur les mélodies : probablement la rançon de l’originalité !
Avec This Is What Happens, les Kindo Boys atteignent l’équilibre de la maturité en proposant un travail intelligent et stimulant. Si cet album ne tourne pas en boucle sur votre platine, il y a fort à parier qu’il restera le genre d’album qu’il fera bon se repasser avec un bon bouquin au coin du feu. Et à son écoute, de temps en temps, vous laisserez tomber la lecture lors d’un passage et vous vous direz : “C’est quand même bon, ça !”