Vénéré par certains, haïs par d’autres, davantage pour des raisons extra-musicales d’ailleurs, Burzum, dont le nom est extrait du Seigneur des anneaux, entité ténébreuse qui se confond avec son fondateur et membre unique, Varg Vikernes, reste cependant une des créations majeures du mouvement Black Métal. Sa carrière est fortement liée à la trajectoire du musicien et peut, pour faire simple, se diviser en plusieurs séquences, dont certaines sont très rapprochées, la majorité des enregistrements s'étant tenus sur une période très restreinte, entre janvier 1992 et avril 1993.
La première séquence court de 1991 à 1993 et réunit les deux albums Burzum et Det Som Engang Var ainsi que le EP Aske qui fixent durablement certaines caractéristiques du genre : production polluée, atmosphères sinistres, riffs grésillants, aura evil… Parallèlement, l’homme, aux idées contestables, joint les actes à la musique en initiant les fameux incendies d’église en 1992, dont le point culminant reste probablement le brasier qui détruisit l'édifice en bois de Fantoft le 6 juin à 6 heures du matin (666 donc), actes qui sont à la fois à l’origine du mépris que l’on peut ressentir pour le Black Métal, mais qui constituent aussi un élément matriciel de sa légende noire et de son pouvoir d’envoûtement.
Préparé par trois démos devenues depuis cultes, Burzum est capturé durant l'hiver 1992 au fameux Grieghallen Studios par Varg lui-même qui se fait alors appelé Count Grishnackh, assisté du producteur qui sera à l’origine de ce son cru à la norvégienne, Pytten. Sorti sous l’égide du propre label d’Euronymous (Mayhem) dont tout le monde sait qu’il sera plus tard assassiné par Vikernes (!), c’est un album que d’aucuns considèrent - à juste titre - comme une des pierres angulaires du genre, même si le comte fera encore mieux par la suite.
Si certains de ses traits sont déjà fixés (vocalises écorchées et maladives, guitare corrosive au son garanti première prise, présence de plusieurs pistes instrumentales Ambient…), l'opuscule dévoile une identité qui se cherche encore. Les titres sont dans l’ensemble moins longs et monotones que ceux de Hvis Lysset Tar Oss et Filosofem ; ils sont plus rustres, plus primitifs, témoins les saignements crus et malsains que sont "War", sur lequel le guitariste de Mayhem tape un solo, et "Feeble Screams From Forrests Unknown", malgré sa seconde partie plus mortifère.
Devenu un classique, "Ea, Lord Of The Depths" est quant à lui représentatif de cette science du riff qui sait labourer les chairs que possède Varg, compositeur plus talentueux que ce que ses (nombreux) adversaires prétendent. Toutefois, ce galop d’essai atteint sans doute son Valhalla avec ces trois perles que sont "Spell Of Destruction", "My Journey To The Stars" et "A Lost Forgotten Sad Spirit", qui annoncent, tant par leur lenteur répétitive que par leur ambiance lugubre, les motifs dépressifs qui feront de Burzum le précurseur de toute la mouvance du Black Métal suicidaire popularisée dix ans plus tard par Xasthur, Shining ou Striborg.
Agé d'à peine vingt ans, Varg Vikenes vient d'enfanter, sans vraiment le savoir, une oeuvre fondatrice du Black Métal norvégien, au même titre que De Mysteriis Dom Sathanas (Mayhem), In The Nightside Eclipse (Emperor) ou Diabolical Fullmoon Mysticism (Immortal), pour n'en citer que trois autres. Quelques mois après, il s'enferme de nouveau dans l'antre des studios Grieghallen pour coucher sur bande ce qui deviendra Det Som Engang Var.