Après un album de reprises en demi-réussite, et le talentueux Internal Exile, Suits doit faire face à un drôle de challenge : redéfinir ou réaffirmer la griffe de l’artiste (l’opus précédent par nature ne relevant pas de la manufacture Fish, seulement de son inspiration), tout en faisant au moins aussi bien que l’épopée de 1991.
A première vue, le formatage de l’album est plutôt conventionnel, en tout cas semblerait l’être un peu trop pour prétendre s’inscrire dans la verve (néo)progressive à laquelle Fish et Marillion ont fait honneur jusqu’à présent : tous les morceaux avoisinent les 6 minutes, ou une de plus, et aucun par conséquent ne fait figure de Masterpiece en mesure de se distinguer du lot. La construction de ce projet se rapprocherait donc davantage d’une conception néo-FM, entre deux eaux : 6 ou 7 minutes, c’est trop long pour cibler le cadre du morceau pop ou rock traditionnel, et trop court pour envisager une réelle inspiration progressive.
A seconde vue ? L’impression se confirme, tout en restant sur le fil du rasoir au cours des 3 ou 4 premiers titres. "MR 1470", qui contient l’éponyme Suits dans son vocable (martelé tout au long du morceau), donne le ton ultra répétitif du projet, même si l’auditeur n’a pas encore les moyens, à ce stade, d’évaluer l’ampleur des dégâts. Pour le moment, il est possible de prêter une oreille attentive aux accents vocaux teintés de questionnement introspectif, ou à une très belle envolée de guitare solo, joliment soutenue par la batterie de Kevin Wilkinson. Les élans enjoués de "Lady Let It Lie", ou l’introduction épique de "Emperor’s Song" parviennent encore à faire illusion. Jusqu’ici, un semblant de fraîcheur aérienne émane vaguement de cette musique, potentiellement apte à entraîner dans l’enthousiasme de sa ronde.
Un sursis supplémentaire, avec la plage suivante ? "Fortunes Of War" arrive à point nommé, semble-t-il. De quoi reposer les oreilles, faire un petit break thématique, et inviter l’auditeur à une jolie rêverie atmosphérique; mais cela dure… un peu trop longtemps.
Et la reprise de match… sombre dans un magma sonore et rythmique plus ou moins indigeste. Nous quittons alors toute orientation néo-progressive ; mais le plus dérangeant, même après moult écoutes, c’est que la qualité inventive de cette musique (en pseudo rock assez difficile à classer) est simplement inexistante. Jusqu’au bout de la galette, le programme n’égrènera plus qu’une suite de morceaux qui vont épuiser leur (maigre) contenu par d’incessantes mises en boucles, jusqu’à usure totale du mécanisme. L’ennui s’installe et prend racine ; ou pire, évolue vers l’irritation. Alors certes, il resterait encore quelques tirades folkloriques à se mettre sous la dent (les flûtes de "Bandwagon"), ou un soupçon de lyrisme poétique -un peu évasif tout de même- au travers de "Raw Meat" ; mais, concernant ce dernier (et ultime morceau de Suits en version initiale), la tirade séductrice est très vite sacrifiée, et finit par déboucher sur une clôture sans queue ni tête.
Face au déballage d’une instrumentation plus qu’impressionnante et d’un line-up digne de la grande armée Napoléonienne, et compte tenu d’un résultat aussi mince, on se prend à vérifier les crédits, au regard de ceux d’Internal Exile. Mais pas grand-chose à signaler, si ce n’est que Mickey Simmonds n’a pas participé au projet ; et l’ami Dick a bien posé sa signature sur l’ensemble des compositions, épaulé principalement par James Cassidy et Robin Boult.
Le pari est donc perdu, et le mystère du naufrage reste presque entier. Fish s’est apparemment trompé en transmettant les mesures à son tailleur (producteur, qui n'est autre que James Cassidy)… pour la confection de ce(s) costume(s).