Après un début de décennie marqué par un virage rock et des sonorités (hélas) dans l'air du temps, symbolisé par les plus ou moins réussis Vu d'un Chien et Moteur, Ange s'accorde une récréation en cette année 1982, en rendant hommage à quelques pointures de la chanson française, à savoir messieurs Brel, Nougaro, Dutronc, Brassens et autre Polnareff. Si le groupe s'était déjà essayé avec succès à l'exercice oh combien difficile de la reprise, avec l'inoubliable Ces Gens-Là de Brel (sur l'album Le Cimetière des Arlequins), il nous convie ici à une immersion complète de 36 minutes dans un répertoire qui à priori n'est pas le sien.
Dès les premières mesures du Moribond de Jacques Brel, il faut se rendre à l'évidence : l'intérêt de cette première plage doit plus à sa qualité intrinsèque qu'à l'interprétation beaucoup trop modernisée qu'en fait le groupe. Sur ce titre, tout comme pour A Jeun, le phrasé théâtral de Christian Décamps permet néanmoins à Ange de donner le change… mais ce feu de paille va vite s'éteindre dès les plages suivantes. Sonorités par trop modernes, accompagnements sans inspiration, interprétation trop décalée par rapport à des titres archi-connus, l'hommage tourne vite au fiasco artistique, et du fond de sa tombe, le pauvre Georges Brassens doit encore se demander comment un groupe aussi talentueux a pu massacrer à ce point ses Copains d'Abord. Quant à Aznavour, la seule différence avec l'assertion précédente, c'est que lui est encore vivant.
Et puis, et puis y'a Frida ! Non, Ange n'a pas réintégré la phrase qu'il avait sciemment supprimée de sa première reprise de Brel, Ces Gens-là, rappelons-le pour ceux qui auraient déjà oublié le début de cette chronique. Non, et puis, et puis vient un petit miracle, avec UN morceau absolument fantastique, qui à lui tout seul va sauver l'album de la déroute. Le Bal des Laze, titre magique de sieur Polnareff, se retrouve ici magnifié dans une version progressive, allongée de passages instrumentaux collant à merveille à l'ambiance tragique de la chanson, portée par des harmonies certes peu torturées mais véritablement efficaces. Un grand moment musical, qui trouva un aboutissement extraordinaire en concert ; ceux qui eurent la chance, comme votre serviteur, de vivre cela vous le confirmeront.
Parenthèse dans la discographie du groupe, A Propos De s'avère être un album plutôt raté. Pourtant, avec un seul titre, Ange parvient à en faire une pièce incontournable pour tout auditeur un tantinet fan de leur musique ; c'est dire toute la qualité de cette "composition", dont la valeur n'a d'égal que la somme des regrets véhiculés par le ratage des 6 autres plages.