"Incoherence" tient une place à part dans la discographie de Peter Hammill : en effet, ce disque a bien failli endosser le rôle peu réjouissant d'album posthume. Posthume car, entre sa date de fin de mixage et celle de sa parution, l'ancien (et bientôt futur nouveau) leader de Van der Graaf Generator a été victime d'une attaque cardiaque dont il a heureusement réchappé sans séquelle.
Sur un plan plus musical, "Incoherence" présente également une particularité de taille, celle d'être constitué d'un unique morceau de plus de 41 minutes, pouvant laisser croire à un retour aux sources du progressif du leader charismatique de l'un des groupes les plus originaux de ce genre musical.
Pourtant, la première écoute permet immédiatement de constater que, si le format a changé, la teneur musicale reste globalement identique à celle des albums précédents. Certes, par certains côtés "Incoherence" renvoie à "A Plague Of Lighthouse-Keepers" ("Pawn Hearts de VdGG) ou à "Flight" ("A Black Box") par ses alternances de passages doux et mélodieux et d'instants plus syncopés et parfois discordants. Mais globalement l'album baigne dans la même atmosphère calme et mélancolique que celle qui entoure les productions de Peter Hammill depuis "X My Heart".
A l'image de "The Fall Of The House Of Usher" auquel Peter Hammill le compare, "Incoherence" ne contient aucune percussion. Les nappes de guitares qui constituaient l'armature de "Usher" cèdent la place à des murs de pianos électriques, enrichis de nappes d'orgues et de synthés, la guitare étant quant à elle plutôt discrète. David Jackson et Stuart Gordon viennent comme à leur habitude renforcer l'impression de tristesse diffuse de quelques traits de saxophone ou de violon nostalgiques.
Le titre unique est composé de 14 parties qui alternent mélodies chargées d'émotions et rythmes plus syncopés, peuplés des boucles expérimentales des claviers et des guitares, où la voix reste le seul point de repère d'un auditeur balloté par des ondes sonores qui évoluent sans logique apparente. Cette alternance de thèmes doux et aériens et d'autres plus agressifs et complexes permet de garder intact l'intérêt tout au long de l'album qui se referme comme il avait débuté sur quelques notes éparses de claviers, enjolivées de légères volutes de flûte, égrenées comme par hasard sur un chant désabusé.
"Incoherence" contient ces quelques mots qui faillirent être prophétiques : "So many things left unsaid and the voice I've been using gone ahead". Triste ironie du sort fort heureusement évitée. Si Peter Hammill s'attaque dans "Incoherence" aux insuffisances du langage et aux difficultés de communication qui en résultent sous toutes leurs formes, il prouve par sa logorrhée inspirée qu'il lui reste encore bien des choses à nous dire.