Les dernières productions de Peter Hammill nous avaient, il faut l’avouer, laissé sur notre faim : depuis Patience le bien-nommé en 1983, les disques moyens ou bizarres s’étaient succédés sans réel bonheur, si l’on excepte l’excellent And Close As This. Aussi la sortie en 1989 de Out Of Water provoqua une sorte d’inquiétude fébrile : allait-on assister à la résurrection du talent d’un artiste qui avait prouvé en être largement pourvu, ou bien la veine de l’inspiration se serait-elle définitivement tarie ?
Dès le premier titre, Evidently Goldfish, on se sent rassuré : un titre inspiré, avec un texte fort, un chant désabusé et profond, un subtil mélange d'instruments. Le côté mécanique de la batterie qui gâchait tant l’écoute d’In A Foreign Town a été corrigé. Not The Man enchaîne sur une très belle mélodie créée par le décalage entre la guitare acoustique posée et la basse plus incisive. Le refrain est prenant avec un chant lead convaincant doublé d'une voix plus aigüe et discrète, légèrement narquoise. Le titre monte en puissance du début à la fin. Un hit FM.
Derrière ces deux titres accrocheurs suivent trois autres plus intimistes mais tout aussi réussis. On retrouve avec plaisir le sax de David Jackson qui joue des mélodies presque orientales sur le nostalgique No Moon In The Water où la voix posée de Peter Hammill, enjolivée par les mélopées du sax, est l'élément central. C’est également autour du chant d’un Peter Hammill décidemment en grande forme que s’articule le solennel et dépouillé Our Oyster. Enfin, sur le très intimiste Something About Ysabel’s Dance, Peter Hammill, une fois n'est pas coutume, nous narre une histoire, quelques notes discrètes de guitare acoustique lui servant de support pendant qu'un violon virtuose virevolte et nous invite à une improbable danse.
Si Green Fingers, sans démériter, reste le titre le plus anodin de l’album, les deux morceaux qui viennent clore le disque sont deux merveilles. On The Surface est une litanie invariablement répétée d'un bout à l'autre et qui finit par se transformer en une boule d'angoisse. Des chœurs désincarnés et inquiétants, un chant lancinant et presque découragé, une basse et une batterie jouant un rythme saccadé qui va s'arrêtant et reprenant, comme si le moteur avait des soubresauts, contribuent à créer un sentiment diffus de découragement et de désespoir. Quant à A Way Out, c’est un titre chanté comme une prière, une litanie où chaque phrase commence par un "Out Of…" se répétant en écho. La basse rebondit sur des nappes d'orgues où piano et guitare viennent tour à tour broder leurs motifs. La superposition progressive des instruments et le chant de plus en plus déchiré au fil des minutes créent une lente, mais efficace, montée en puissance et en intensité.
Avec ce disque, Peter Hammill renoue avec ce style qui lui est si particulier et qui fait tout le charme de cet artiste, dès lors que l’on n’est pas effarouché par les quelques excentricités et libertés qu’il s’autorise à prendre avec les conventions. Très diversifié, tout en finesse, doté de textes intelligents, habité, un très bon album pour tout esprit aventureux qui souhaite ouvrir ses horizons sonores et pour tous ceux qui ont déjà succombé au charme de ce chanteur d’exception.