En 1991, Peter Hammill produit l'une de ses œuvres les plus étranges, et du même coup l'une des plus étranges de l'histoire du rock. The Fall Of The House Of Usher est un opéra rock gothique totalement atypique (voir la chronique sur ce même site). Mais Peter Hammill, perfectionniste jusqu'aux bouts des ongles, n'est pas satisfait de la version initiale. Aussi décide-t-il de récupérer les droits à l'expiration de la licence accordée au label Some Bizarre (notez bien le nom !) pour rééditer le disque à son goût.
En 1991 toujours, Hammill prend une grande décision : lassé d'être maltraité par les différents labels avec lesquels il signe successivement, ne profitant d'aucun moyen, d'aucune promotion, considéré comme un artiste mineur, il franchit le Rubicon et crée son propre label, FIE!, sur lequel il va désormais produire tous ses nouveaux albums et rééditer les anciens, dès qu'il aura l'occasion de racheter les droits de ses propres œuvres.
Et donc en 1999, il peut ressortir une nouvelle version d'une œuvre sur laquelle il a travaillé 19 ans. Mais Peter Hammill ne veut pas se contenter de produire un disque légèrement relifté. Il décide non seulement d'utiliser les progrès que la technologie a faits sur les huit dernières années, mais aussi de gommer les imperfections qu'il découvre avec un peu de recul.
Pour cela, il entreprend d'abord de déconstruire chaque morceau en isolant les différentes pistes sur lesquelles chants et instruments ont été enregistrés en 1991. Il ne conserve en l'état que les parties vocales interprétées par ses invités, Sarah-Jane Morris, Andy Bell, Lene Lovich et Herbert Grönemeyer, ainsi que certaines de ses propres parties chantées, dès lors qu'elles répondaient aux autres intervenants, mais réinterprète tous les titres où il chante seul. Parallèlement, il supprime toutes les parties de batterie, considérant finalement qu'elles ne correspondent pas à l'esprit de l'œuvre, ajoute des nappes de guitares pour étoffer les titres et invite Stuart Gordon à remplacer par son violon magique les parties de cordes synthétiques.
Il reconstruit alors son œuvre en attachant un soin particulier au mixage, bien supérieur à celui d'origine : on n'est jamais si bien servi que par soi-même. Tout ce travail lui prit un an. Le résultat en valait-il la peine ? La réponse est oui ! En artiste intègre, Peter Hammill ne nous fait pas le coup du "je mélange les pistes d'un vieux CD, je lui ajoute un ou deux titres bonus, et j'ai fait du neuf avec du vieux à peu de frais". Tous les titres sont rigoureusement à la même place que celle de l'album d'origine et il n'y a pas un titre de plus. Par contre, la nouvelle orchestration apporte un souffle plus grandiose et surtout les parties chantées réenregistrées sont encore plus profondes, authentiques. Peter Hammill est complètement habité par son personnage et son chant halluciné laisse craindre que ses facultés mentales ne soient pas sorties indemnes d'une telle expérience. Quant aux voix de la maison, elles sont encore plus insidieuses et angoissantes que celles de la première version, qui étaient pourtant déjà très réussies dans le genre.
Loin d'une opération mercantile, Peter Hammill prouve tout le respect qu'il accorde à son public et toute l'attention qu'il attache à ses créations. Si vous avez la chance de posséder la version de 1991, ne vous attendez pas à découvrir de nouveaux titres, il n'y en a pas. Mais l'intensité du chant de Peter Hammill justifie à elle seule l'achat de la nouvelle version. Quant à ceux qui hésiteraient entre les deux versions, le dilemme est facilement tranché : celle de 1991 ne se trouve plus que chez quelques vieux collectionneurs qu'il vous faudrait assassiner pour la leur voler. Peter Hammill lui, a fait le choix de ne plus produire que la version de 1999. Après tout, c'est son œuvre, autant lui faire confiance.