Midnight Oil, l’emblème du rock australien, entame son aventure en 1978 avec cet opus dénué d’identifiant, ou plutôt, se contentant de celui de son créateur. Une volonté d’imprimer un « générique » éponyme à ce début de carrière, en guise de symbolique ?
En réalité, Andrew James, Jim Moginie et Robert Hirst ont déjà formé le groupe Farm, au début des années 70. Par la suite, Peter Garrett est recruté pour le chant, et Martin Rotsey vient renforcer l’équipage, côté guitare. L’entité change alors de nom, pour devenir Midnight Oil. Mais pour quelle raison la nouvelle dénomination, plutôt que celle de "Farm", devrait-elle éclairer ainsi l’orientation musicale adoptée par les 5 complices ?
Parce qu’à l’évidence, l’appellation tire son origine de l’ancienne expression "burning the midnight oil", une référence à l’individu en devoir d’une activité physique ou intellectuelle exercée tardivement, en l’occurrence au cours de la nuit. Une activité pour laquelle, autrefois, il était donc nécessaire d’employer "l’huile de minuit", celle des lampes à pétrole. D’une certaine manière, le groupe entend ainsi rendre hommage aux hommes de labeur, ceux qui oeuvrent durement, et par extension, qui en souffrent inéluctablement.
De fait, si par la suite de sa carrière le groupe s’est distingué en permanence par la ferveur de son engagement idéologique, la défense de l’écologie (en particulier, par son rejet du nucléaire) et celle des causes humanitaires, on peut déjà en percevoir les prémices au travers de cet album initial. Quelques exemples, les paroles de Powderworks –donnant son nom au label initial, auto-créé par le quintet- qui dénoncent l’usage des armes, telle une évocation d’épée de Damoclès pour l’humanité, celles de Dust, dépeignant brièvement mais intensément la détresse de la communauté marginalisée, ou encore celles de Surfing With A Spoon, cherchant à démontrer l’incompatibilité entre vie de couple et impératifs aliénants de la société moderne.
Musicalement, le constat est le même : la griffe "Midnight Oil", celle que l’on reconnaît si bien à partir de l’opus du "décompte" de 1982 - ayant propulsé le succès du groupe hors frontières australiennes, cette griffe est déjà là, sous-jacente.
Ce premier album s’impose d’ores et déjà comme un laboratoire : non pas qu’il s’agisse d’une musique "qui se cherche", mais d’une musique propice à la recherche, à l’exploration de tendances inventives assez peu en vogue, pour ne pas dire inexistantes, au sein de l’univers rock (hors prog') plutôt formaté de cette époque.
Et les illustrations ne manquent pas : à commencer par la mélodie du premier titre, aussi peu accessible de prime abord qu’elle est obsédante une fois assimilée. L’erreur serait de refermer ses oreilles dès l’introduction de ce morceau, qui semblerait ne s’apparenter qu’à du rock de bas étage ; en fait, tout est millimétré à l’extrême précision et il n’est pas exagéré d’employer ici la notion de complicité, d’harmonie dans les échanges, pour décrire la finesse du jeu auquel se livrent la guitare (bien que saturée), la basse (à l’allure linéaire) et le lead vocal au relief minimaliste si on l’isole dans sa partition.
L’apparente dominance de la sonorité rock est ponctuée d’innovations, tout au long du programme : les "pizzicato" et les claviers de Head Over Heels, la rythmique sautillante et les intermèdes vocaux très haut perchés de Used And Abused, en contrepoint de sa ligne punk, les orgues qu’affectionnent particulièrement les Emerson, Lake & Palmer, venant briser net l’élan de la guitare et de la batterie dans Surfing With A Spoon, et un savant cocktail en quasi rock atmosphérique, avec un petit goût "floydien" de la période intermédiaire, au travers de la clôture Nothing Lost - Nothing Gained : introduite par de lents roulements de tambour d’orchestre, elle est soutenue par un lead vocal très affirmé, et des guitares assez modernes, plus chaleureuses que celles du punk rock ayant principalement habillé les morceaux précédents.
Si l’approche mélodique est encore loin d’avoir atteint la maturité de celle des succès à venir, ce premier album, aussi court soit-il (une demi-heure environ) est annonciateur de la suite. C’est une musique qui sait déjà ce qu’elle veut, mais qui souffre pour l'heure d’une hésitation à se libérer pleinement.