Haken est un jeune groupe londonien formé en 2007 autour de trois amis d’enfance et qui après une démo prometteuse est signé chez Laser’s Edge pour son tout premier album Aquarius. Tout d’abord, signalons la magnifique illustration de l’album signée Daniel Sibeijn et la présence de deux musiciens connus dans le monde du métal progressif avec le guitariste de To-Mera, Thomas MacLean à la basse ici, et le guitariste de Linear Sphere Charles Griffiths. Le style pratiqué par le sextet est un métal progressif qui puise son inspiration aux deux extrémités d’un genre qui pratique déjà le mélange des sonorités. Haken va encore plus loin et fait cohabiter la noirceur du black métal avec la joliesse d’un rock progressif d’obédience suédoise.
Les Anglais commencent très fort avec sans doute le meilleur morceau de l’album. "The Point Of No Return" est la synthèse parfaite des quelques références données en introduction. Un piano majestueux sur des accords de guitare d’une profonde noirceur, un passage brutal emprunté à Zappa avec bruitages, et installation d’une ambiance ténébreuse qui donnera le thème à la chanson. La voix d’ange de Rose Jennings inonde l’espace et la quiétude des mélodies envoûte instantanément. Sans s’en apercevoir c’est une guitare huit cordes qui reprend le thème à son compte pour lui donner plus d’énergie et plus de noirceur. La mutation est amorcée et le ciel s’obscurcit notablement. La voix de Jennings se transforme en des growls qui surprennent mais qui s’intègrent parfaitement à l’atmosphère pesante du titre. Haken arrive à synthétiser tout ce que la musique progressive à pu explorer jusqu’à maintenant, des délires zappesques au métal très structuré de Dream Theater en passant par le death progressif d’Opeth. Les passages instrumentaux sont légions et empruntent autant au jazz qu’au métal progressif d’un Liquid Tension Experiment. Malgré la grande variété de sonorités la cohérence est bluffante pour un groupe qui sort son premier album, et l’estampille de ce premier titre est clairement de couleur noire.
Mais on ne peut vraiment pas se reposer sur une première impression avec Haken car le second titre prend l’auditeur par surprise avec un "Streams" qui montre un visage (au début en tout cas) d’une profonde joliesse et d’une vitalité qui nous rappellent les meilleurs passages des Flower Kings. La voix de Jennings est encore plus à son aise dans ce genre de séquences. Au détour d’un refrain rafraîchissant on entend cette guitare sept cordes qui vient perturber une fois de plus les certitudes. C’est d’ailleurs une des principales caractéristiques de ce groupe : utiliser toute la puissance de la guitare sept cordes grâce à une dynamique basée sur la progression des octaves sans en faire une utilisation simple en accord de puissance. Haken est le groupe de métal progressif le plus oxymorique qui soit et la preuve est encore plus flagrante sur "Streams" avec une séquence d’une noirceur effrayante au milieu du morceau. On touche du doigt le black métal et ses atmosphères poisseuses faites de tragique et de mélancolie. Une ouverture atmosphérique déchire l’épais rideau pour basculer sur une éclaircie qui n’est pas tout à fait celle du début.
Le reste de l’album fait moins la démonstration du génie de ce groupe en limitant l’exaltation des deux premiers morceaux. "Aquarium" rentre plus dans les canons du genre avec un tempo très lent et des accélérations dans la belle partie instrumentale de milieu de morceau. "Eternal Rain" montre un visage aussi plus conventionnel avec des sonorités à chercher du côté d’un ACT. Ces compositions sont excellentes, mais au regard des deux premiers titres l’exigence les rend moins marquantes avec quelques longueurs parfaitement supportables (l’album fait quand même plus de 72 minutes). "Sun" est une jolie pause bien rafraîchissante avant les seize minutes du morceau final, "Celestial Elixir". Ce dernier reprend plusieurs thèmes de l’album en les synthétisant. Les orchestrations sont grandioses pour ce titre très progressif aux multiples parties instrumentales.
Les Anglais d’Haken sont très proches de réaliser un premier album parfait. Comme avec les albums d’un certain Devin Townsend, Aquarius est très marqué symboliquement. C’est la mystique de l’eau qui est développée par Haken mais ne cherchez pas l’imagerie de la quiétude d’une mer irisée par un soleil couchant. Il faudra compter avec une descente dans les profondeurs, là où la lumière est rare et les créatures étranges. La maturité dégagée dans Aquarius est impressionnante et, sur au moins la moitié de l’album, on peut raisonnablement parler de chef d’œuvre. Souhaitons que l’aventure ne fasse que commencer pour Haken. En attendant, Aquarius est la découverte de l’année.