Le nouvel Ange, en partie affranchi de son passé après la publication de La Voiture à Eau, nous revient en cette année 2001 avec un projet qui tenait depuis longtemps à cœur à Christian Décamps, et que la première version du groupe ne lui avait pas permis de mettre en œuvre, en raison de son audace et de son extravagance : un album qui ne parle que de sexe et de ses plaisirs ! Du sexe oui, mais passé à la moulinette des mots de Christian ! Et quitte à pousser l'audace encore plus loin, Ange accueille pour la première fois en son sein … une femme, Caroline Crozat venant poser ses chœurs et sa théâtralité parmi le père et ses fils.
Avec Culinaire Lingus, sobrement sous-titré Les XIII Plaisirs capitaux (tout un programme, d'autant que l'album ne comporte que 12 plages !), Ange entre de plein-pied dans le 21è siècle, et pose les bases de son nouveau style : du rock baroque, introduisant de nombreux effets synthétiques tant sur les instruments que sur les voix, des harmonies qui "frottent", le tout symbolisé par Jusqu'où iront-ils, titre hallucinant produit par Steven Wilson et qui ouvre les hostilités de manière percutante. Nous sommes ici bien loin d'Emile Jacotey et des influences folk/médiévales des débuts du groupe ! Ce qui ne change pas en revanche, ce sont les illustrations de Phil Umbdenstock qui ornent la couverture et parsèment le livret ; un véritable régal !
Mais la tendance lourde de quelques titres n'empêche pas le groupe de nous délivrer une poignée de titres plus délicats, où la poésie passe tour à tour des mots aux instruments (Cueillir les Fruits du Sérail ou encore le subtil Adrénaline et son violon). Aux côtés des Odeurs de Cousine, clin d'œil très appuyé à l'ami Thierry Busson et à la revue RockStyle dans laquelle Christian tenait chronique, et autres Culinaire Lingus aux textes évidemment subtils (!), Gargantua se pose en fresque angélique classique façon Troisième Etoile à Gauche, qui prouve si besoin était que l'on peut écrire des pièces progressives en quelques 5 minutes, et que Ange est un groupe de rock progressif !
Mais, après toute cette mise en bouche (il faut bien rester dans la tendance de l'album), voilà que le meilleur arrive : c'est tout d'abord On Sexe, pièce totalement dantesque qui parle de … vous l'aurez compris, et dans laquelle les flux et reflux tant vocaux qu'instrumentaux des différents musiciens submergent l'auditeur et l'entraînent dans une vague de plaisir sans fin. Enfin, le longuet mais finalement magnifique Cadavre Exquis vient clôturer les hostilités, avant qu'Ange, ou plutôt les huit amis guitaristes d'Ange réunis en une brochette magnifique, ne viennent nous offrir une petite sucrerie de fin d'album, sous la forme d'un cadavre exquis musical où chaque guitariste, accompagné par le groupe, joue une partie de cette dernière plage, donnant libre cours à son inspiration. Délicat, subtil, et passionnant. Merci !
D'un accès quelque peu compliqué, en raison notamment de la forte inclinaison de style vers ce que le groupe Ange est devenu aujourd'hui, Culinaire Lingus est un album qui s'apprécie sur la durée, et qui finit par délivrer toute sa saveur au gré de multiples écoutes. Commencez par les mots, poursuivez par la musique, et laissez-vous emporter par la vague de ce voyage aux limites du plaisir sensoriel.