Le nouvel opus de Big Big Train est présenté par le groupe lui-même comme un EP nous permettant de patienter entre The Underfall Yard paru en 2009 et leur futur LP en cours d'enregistrement. Une activité galopante pour un groupe qui, de sa création en 1990 à 2007, n'a produit que 5 albums et qui, en moins de trois ans, en sort 3 nouveaux. Il est curieux que le groupe qualifie ce disque d'EP : la durée très convenable (41 minutes) de Far Skies Deep Time lui permet d'être assimilé à un LP à part entière. Par ailleurs, l'intensité et la cohérence des titres sont telles que cet album mérite mieux que d'être considéré comme un moyen pour faire patienter le public entre deux "vrais" CD.
Car autant le dire tout de go : ce disque est tout ce qu'il y a de plus intéressant et pour reprendre la réflexion que se faisait Platypus dans sa chronique de l'album précédent : "Comment ai-je pu jusqu’ici passer à côté d’un groupe comme Big Big Train ?". Constitué à la base par un trio (Andy Poole et Greg Spawton, tous deux co-fondateurs du groupe, et David Langdon depuis The Underfall Yard), le groupe s'est enrichi de deux membres, invités sur le précédent disque, mais figurant désormais dans le line-up du groupe : Dave Gregory de XTC à la guitare lead et Nick D'Virgilio de Spock's Beard à la batterie. Autant dire, de sérieuses pointures.
Côté musique, le groupe a des faux airs de Genesis par la variété des atmosphères, le côté symphonique, l’inventivité et le caractère très mélodieux des instrumentaux. Mais tout est fait par touches subtiles, presque impressionnistes : le chant à la Phil Collins des bons jours à la fin de Master Of Time (un titre initialement écrit par Anthony Phillips et Mike Rutherford pour The Geese And The Ghost mais qui n'a pas été enregistré sur l'édition d'origine), le synthé et l'orgue à la"Tony Banks" de Fat Billy Shouts Mine (peut-être la dernière apparition officielle de Martin Orford de IQ à ce jour), les effets de vagues rappelant The Fountain Of Salmacis sur The Wide Open Sea. Autant de poignées de secondes habilement saupoudrées en hommage au sein d'une musique riche et originale.
Les cinq titres qui constituent l'album sont à la fois homogènes et variés. Homogènes dans leur 'symphonisme', la qualité de l'interprétation et des compositions, toujours mélodieuses, jamais ennuyeuses ou superficielles. Variés par leurs durées respectives : deux titres courts, deux avoisinants les 7 minutes et un epic de près de 18 minutes. Variés par la palette d'instruments utilisés : on y entend un banjo, de la flûte, un accordéon... Variés enfin dans les atmosphères sonores : Master Of Time, un titre vigoureux au refrain accrocheur, Fat Billy Shouts Mine encore plus 'punchy' que le titre précédent avec son riff à la guitare, lourd et jouissif, et ses superbes lignes de basse, British Racing Green au chant feutré, pastoral, presque 'canterburien', Brambling syncopé et orchestral, et enfin le superbe The Wide Open Sea.
Ce titre a été écrit en hommage à Jacques Brel. Le groupe évite l'écueil (sur une "Wide Open Sea", c'était souhaitable) de parodier un chanteur difficile à égaler, le morceau s'inspirant surtout des dernières années de sa vie pour évoquer son esprit en filigrane. Le chant, doux au début, ironique et poisseux au milieu, déchirant à la fin, rappelle parfois Peter Gabriel dans ses intonations. Le mélange des instruments donne une impression de profondeur à la musique. Il y a des envolées poignantes, des cassures pour revenir à un calme désolé et triste. L’âme de Brel n’est pas loin.
Il semblerait que Big Big Train soit comme ces grands crus : un peu âpres et râpeux si on commet l'erreur de les goûter trop tôt, ils développent avec l'âge un arôme délicat qui met le palais en extase. Là, ce n'est pas notre sens du goût, mais bien l'ouïe qui ne peut que se délecter d'une musique si agréable.